jeudi, septembre 28, 2017

UNA STELLA, UNE ÉTOILE



Journées du patrimoine, Hôpital Saint-Joseph

Concert baroque,

Ensemble Una Stella,

Eleonora de la Peña, soprano

Marseille, 16 septembre


L’hôpital… lieu d’angoisse, lieu d’espoir, lieu de mort aussi, mais surtout de survie par des soins attentifs. À l’Hôpital Saint-Joseph, mort et vie, la Chapelle de la foi voisine avec la Morgue et avec l’Auditorium, belle salle où la musique vivante apporte quelquefois son soutien, son réconfort, son espérance humaine à la douleur, comme une prière pour ceux qui croient au ciel, un baume pour ceux qui n’y croient pas : image sonore de l’humanité au meilleur d’elle-même réunie, recueillie, dans un lieu aussi, au vrai et profond sens du terme, d’hospitalité.

C’était donc avec des sentiments graves et fraternels qu’on se rend à l’une de ces  deux Journées européennes du patrimoine qui ont allié avec bonheur le souvenir du fondateur de cet hôpital, l’Abbé Jean-Baptiste Fouque (1851-1926), sa vocation spirituelle et humaniste, avec la voix de la musique et les arts visuels, ouvrant grandes les portes de cet hôpital patrimonial de Marseille dans un parcours multiple, des métiers qui l’habitent, son honneur, aux talents artistiques qui l’honorent, tant du personnel que des artistes invités.  Ainsi, un récitant sobre évoquait dignement la vie de cet homme de charité, chéri par la ferveur populaire, comme le « Saint Vincent de Paul marseillais », aujourd’hui reconnu vénérable par l’Église, en attente de canonisation, un admirable homme de Dieu tout modestement voué à l’humain, à ses misères qu’il tenta inlassablement de soulager jusqu’à sa mort.

Philippe Spinosi, directeur artistique de l’ensemble Una Stella, avait fait un choix de morceaux et d’extraits d’opéras baroques, exprimant tous des affects, pour les accorder affectueusement, en accompagnement discret ou en intermèdes brillants, au souvenir de cet homme dont la silhouette, évoquée par le récitant, se nimbait, ainsi, dans ce lieu qu’il créa, entre autres institutions pour les pauvres, de l’auréole de la musique : une gloire sonore autour de ce personnage grandiose dans son humilité, riche de sa pauvreté, au service absolu des autres, orphelins, enfants et femmes abandonnés, handicapés, blessés de la Grande Guerre (comment une guerre peut-elle être grande ?). Difficile de ne pas se sentir concerné aujourd’hui en découvrant l’action militante jusqu’au dernier souffle de cet homme d’hier en des temps sans autre recours pour les laissés pour compte de la société que le secours du cœur, de la charité. Difficile de ne pas être ému.


D’autant que la qualité du concert, ses émotions, l’intensité des musiciens, répondaient dignement, respectueusement, à cette célébration intime en ce lieu qui fut le sien, qu’on lui doit. D’autant que la jeune soprano Eleonora de la Peña fit passer une vibration, un frisson, une sensibilité sans sensiblerie, dans un enchaînement d’airs étourdissants, d’une virtuosité vertigineuse, mais où l’on sent bien, au-delà du feu d’artifice vocal, tout le feu, la fougue humaine, la pulsation vitale qui est le vrai pouls de cette musique.


Eleonora de la Peña n’est pas défigurée par une grosse voix. Anticipant la musique, de la tête aux pieds, tout est harmonie en elle : allure, figure, menue silhouette élégante, joli minois, regard, gestes gracieux naturellement et cette voix agile, ductile, volubile comme un clair jet d’eau, qui s’épanouit sans effort dans l’aigu et descend dans un médium doucement fruité et un grave sans lourdeur. Dans l’Auditorium, à l’acoustique feutrée et rêche, même intercalés avec les passages instrumentaux, trois arias da capo de Vivaldi, deux de bravoure (l'Olimpiade, Orlando furioso), et une di portamento, de tenue de souffle dans le legato (Perseo),un air vengeur de l’espagnol José de Nebra, tiré de son Ifigenia en Tracia, puis la célèbre sarabande mélancolique de Händel « Lascia ch’io pianga » de Rinaldo, ne semblent pas affecter le tonus de cette cantatrice apparemment fragile, mais d’une étonnante force, pour une seconde partie, des motets religieux de Vivaldi dans la chapelle ni moins longs ni moins virtuoses, requérant une technique sans faille.

    Contrairement à la sagesse prudente de tant de cantatrices commençant par le plus facile, d’emblée, elle avait attaqué avec une extraordinaire énergie l’aria di paragone, ‘air de comparaison’, « Siam Navi all'onde », ‘Nous sommes des navires dans les flots’, flots déchaînés, échevelés, de tempête, hérissés de sauts de vagues crêtées de périlleuses vocalises en guirlandes sur les ondes vrombissantes des cordes graves et l’écume argentée du clavecin, les éclaboussures lumineuses de la guitare.



Eleonora se tire de tous ces écueils sans sombrer, illustrant même par sa maîtrise le sens moral de ces airs d’opera seria : « toute la vie est une mer » tempétueuse, et nous devons arriver à bon port, avec le soleil apaisé après la tempête, tel celui de l’adagio rêveur du Persée vivaldien, « Sovente il sole… », ‘Souvent le soleil…’, qui permet à la cantatrice d’étirer le phrasé d’une belle ligne de chant, exigence du bel canto baroque : l’interprète devait autant briller dans les airs véloces de haute voltige que dans les tenues de souffle et l’expressivité des airs lents.

L’ensemble Una stella, dirigé de la guitare baroque, et de tout son corps par Philippe Spinosi, dans cet adagio, enveloppe, dirait-on amoureusement, la chanteuse, moelleux doré des cordes graves, nappage brillant des aiguës, délicates ponctuations d’argent du clavecin, et les gestes de la jeune femme ont des ondulations d’algue doucement bercée par l’onde musicale. Bien choisies, les plages instrumentales, sous ou après les paroles du récitant, entre les airs, en sont comme des prolongements, des respirations fiévreuses ou méditatives comme les cordes sombres et claires opposées puis apaisées, scandées par le continuo, de l’ouverture de l'Olimpiade, un vrai concerto, avec ses contrastes forte et piano caractéristiques.


Après cette première partie profane, dans la chapelle, où repose l’Abbé Fouque, avec sa conque acoustique réverbérante moins ingrate, venait la partie de musique, sinon liturgique, sacrée. Si l’on n’oublie pas que chaque aria baroque, de forme ABA’, même la musique religieuse, a un da capo, un retour vertigineusement orné à sa première partie, on admire la maîtrise vocale de la chanteuse de ce très long concert. Simplement avec la parenthèse instrumentale rêveuse de l’adagio du concerto pour violoncelle (RV 109, ici pour deux violoncelles et l’orgue), Eleonora de la Peña nous offrit le cadeau du  Laudate Pueri  (RV 600 (sauf deux numéros) plein de ferveur, puis toute la fureur divine vengeresse dans l’éclair de la voix et des yeux de In Furore giustissima Irae (RV 626, sa première partie) un véritable air da capo. En bis, ce fut l’intense et sobre « Lascia qu’io pianga », ici avec un tissu soyeux de la voix rendu par une acoustique plus agréable.

Une réussite. On rêverait que ce concert d’Una stella et son étoile devienne une véritable constellation de concerts multipliés. Rappelons au moins qu’Eleonora de la Peña donnera le 1 octobre à 17h30, un récital,  La Virtuosité vocale, du baroque à Mozart, accompagnée par les solistes de Musiqua antiqua de Christian Mendoze dans le cadre du Festival musical d'automne de Signes, dans le Var. Concerts gratuits, Église saint-Pierre (04 94 98 87 83).   

Journées du patrimoine,
Marseille, 16 septembre,
Hôpital Saint-Joseph
Concert baroque
Eleonora de la Peña, soprano.
 Par l’Ensemble Una Stella :
Premier violon : Petr Ruzicka ; second violon : Fabienne Pratali ; alto : Marie-Aude Guyon ;
violoncelles : Anne-Garance Fabre Garrus, Claire-Lise Demettre ; viole de Gambe : Anne-Garance Fabre Garrus ; orgue et clavecin : Arnaud Pumir ; guitare baroque et direction : Philippe Spinosi.
Soprano : Eleonora de la Peña ;

Musiques de Vivaldi, de Nebra, Händel.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire