mardi, avril 25, 2017

MAGIE AU BOUT DES DOIGTS (JAZZ À MUSICATREIZE)


 
ORIENT MAGIQUE
Jazz, fado, blues

PAR JEAN-MARIE MACHADO, PIANO

14 avril 2017

            Des mots et des notes
La musique n’a pas de sens, disait Stravinsky. Certes, elle évoque, invoque, convoque des significations subjectives, mais on ne peut lui assigner un sens objectif : elle est pléthore de sens imprononçable. Bien sûr, la culture a créé des conventions musicales, des habitudes d’écoute, de perception, et l’on prête des affects, des figures, des couleurs aux sons, des tonalités, sombre pour le grave, clair pour l’aigu et l’on traduit, en clair, par l’aigu, le ruissellement transparent d’une source dont pourtant, étudié en physique, tout le spectre sonore est grave. La musique, est abstraite (dans la mesure où est abstrait ce qui tombe sous un sens, en l’occurrence, l’ouïe) mais notre besoin de sens, de comprendre, sans doute est-il si irrépressible que nous avons hérité de codes de la musique figurale, descriptive, et l’usage de mettre aux œuvres musicales des titres qui, prétendant les éclairer, expliciter, induisent une signification parlant à notre imaginaire tels ceux, apocryphes de certains morceaux de Beethoven, ou ceux délibérés des compositeurs eux-mêmes, Nuages, la Mer, de Debussy, etc. La musique, surtout inédite, a besoin d’être dite, nous avons besoin de mots, sinon pour physiquement la sentir, pour la ressentir intellectuellement, pour donner, au-delà de la sensation, un sens à ce que nous écoutons, éprouvons comme pour l’assurer, le conforter.


         Voyage orienté de Jean-Marie Machado
Ainsi va-t-il lorsqu’un artiste, en confiance et proximité avec son public, juste par quelques paroles sans apprêt, des plus simples, nous invite au voyage, nous orient/e, au sens précis du mot vers un Orient magique personnel que ses doigts virtuoses ou rêveurs vont… dessiner ? non, c’est trop précis : ébaucher, figurer en touches colorées de notes suscitant ou réveillant en nous, avec les sons, des images. Et, sans être nullement ce que l’on appellerait un conteur, Jean-Marie Machado, de ses quelques mots modestes et de son piano généreux, finalement nous raconte un conte personnel, sans doute un parcours de vie, qu’il fait un peu nôtre, à partir de son Tanger natal.
Et c’est, en ouverture, forcément la mer, ouverte à tous les horizons, ici, horizons de toutes les musiques, classique, jazz par sa liberté d’improvisation, à partir de standards, de chansons. Mer qu’il nous a annoncée et que l’on ressent alors dans le vaste espace aéré, aspirant à la lumière, de ces sonorités, ondes d’arpèges, vagues de gammes ascendantes, frémissantes, moutonnement de notes pressées, éclairées d’une crête mousseuse d’écume, vertigineusement virtuoses sur une obsédante profondeur de basse continue.

On saute ou plonge dans Izella, ‘Le village d’en bas’ breton, poétiques couleurs modales et frange indicible mais subtilement audible (mirage auditif?) de l’enharmonie. Puis c’est encore la Bretagne de Lezanafar, surgissement entêtant, ample, généreux de jazz déferlant et l’on croit voir, dans la dentelle de l’aigu, une danse folle de coiffes bigoudènes, luttant contre le vent. Est-ce parce qu’il a sobrement nommé Muraille le morceau suivant que le bourdon, la basse obstinée semble le fondement, le ciment de touches larges et dures comme des blocs pierres une à une érigée de Chine à vague couleur pentatonique ? Puis le pianiste se lève sans abandonner la main gauche sur le clavier, frappant d’un marteau feutré les cordes à nu du piano, les percutant, les pinçant, saveur d’instrument oriental, construisant un grandiose crescendo, morceau de bravoure s’éteignant en un écho lointain. Déjà ainsi préludé, l’Orient magique venait après, jouant d’un grand écart entre les touches percutées et les cordes pincées, ajouré comme un moucharabieh, ombre et lumière se dissolvant dans une pédale au mode mystérieux.



Fado, Solidaõ, ‘Solitude’, hommage, par le jumelage, sinon dans le sang (Irmãs de sangue, ‘Sœurs de sang’), dans la brume de la nostalgie, blues et saudade par-delà la mer, le même cafard, le même spleen, de deux voix de l’universel par le particulier, deux sœurs par l’âme, l’Afro-américaine Billie Holiday et la Portugaise Amália Rodrigues, fado et blues, aux mêmes libertés mélismatiques. Ici, dans un respect amoureux des deux grandes chanteuses, la main gauche égrènera la pure mélodie de certaines de leurs plus belles chansons tandis que la droite tissera l’auréole de commentaires admiratifs et créatifs. Un fado joyeux, en fait ce que les Portugais nomment un fado corrido (‘courru’), semble exorciser par sa vitalité le sens même du mot fado, qui signifie fatum, destin, dans un vital galop et un déchaînement vibrant, grondant avec des percussions accessoires, dont un moulinet de canne à pêche ! sur les cordes d’un piano évoquant avec humour le fameux piano arrangé, élargi, John Cage.

En bis, Blue spice, puis Solidão,  succès des deux chanteuses, avec des gloses virtuoses qui signent une entrée du jazz par la grande porte, finalement si heureusement ouverte, de Musicatreize.


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