Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

samedi, octobre 29, 2016

BELLE DES BELLES



LA BELLE HÉLÈNE



Opéra bouffe en trois actes de Jacques Offenbach (1819-1880)

Livret de Henri Meilhac (1830-1897) et Ludovic Halévy (1834-1908)

Création : Paris, Théâtre des Variétés, 17 décembre 1864

Marseille, Théâtre Odéon

16 octobre 2016





         Sacrée famille !

         Hélène, dite à tort de Troie, en droit Hélène de Sparte, la belle Hélène, selon Homère, fut cause de la Guerre de Troie. Cette Hélène, quelle fatale hérédité ! Quelle famille ! En effet, du côté généalogique, elle est née des amours de sa mère, la reine Léda, avec un cygne, en réalité Zeus, pour les Grecs, Jupiter, pour les Romains, Dieu des dieux, un vilain coureur de jolies filles et même de beaux garçons (ne se fit-il pas aigle pour enlever le mignon Ganymède et en faire, entre autre son échanson dans l’Olympe ?), bref, ce coquin de Jupin (pour les amis), métamorphosé en ce volatile pour tromper et détromper la vigilance de sa jalouse de femme, Héra pour les Grecs, ou Junon pour les Romains, emblématisée par le paon, le pa/on-pan chez Offenbach et ses compères librettistes. Côté famille, du même œuf, Hélène a pour frères Pollux, puis Castor, les jumeaux, les gémeaux. Elle aura une fille, la jalouse Hermione de l’Andromaque de Racine qui fera tuer son amant infidèle par son cousin Oreste amoureux fou d’elle ; quant à sa sœur, Clytemnestre, aidée de son cousin et amant, elle assassinera son mari, le roi des rois Agamemnon au retour de la Guerre de Troie car ce père indigne a fait sacrifier leur fille, la douce Iphigénie pour avoir des vents favorables et Clytemnestre sera à son tour assassinée par son fils Oreste, poussé par sa sœur Électre, pour venger le père. Et laissons de côté Atrée et Thyeste, frères ennemis, dont l’un fera manger à l’autre la chair de ses enfants, ses neveux. Ouf ! Même issue es dieux, cette famille sacrée est une sacrée famille !


         Histoire de pomme

         Et pourtant, née d’un œuf et même sans faire une omelette, elle causera bien des ravages, notre chère Hélène, héroïne bien innocente encore, enjeu d’un jeu qu’elle ignore, disons le jeu non de l’oie ni de paume, mais de la pomme, le fruit. Eh oui, la pomme, pas celle d’Ève ni la pomme d’Adam mais la pomme de Discorde, la rageuse déesse (de là vient l’expression), qui pour faire râler les dieux de l’Olympe qui ne l’ont pas invitée à leur fête, la troublera, parce que c’est sa nature, en jetant sur la table du banquet une pomme d’or avec l’inscription : « À la plus belle ».  À la plus belle ? Trois miss(es), non, trois déesses se mettent sur les rangs, Et les voilà sur le podium, non, le Mont Ida : Héra (Junon), Athéna (Minerve) et Aphrodite (Vénus), compétition guère divine mais bien humaine et féminine, bref, un concours de beauté couronné de la pomme pour la gagnante du titre de « la plus belle ». Pâris, le beau prince troyen, passait par là comme simple berger. Elle s’en remettent au jugement du jeune homme. Ce dernier offre le prix à Vénus qui, recevant la pomme de la plus belle déesse, promet à Pâris la plus belle des mortelles, Hélène de Sparte, mariée au roi Ménélas, hélas ! Il l’enlèvera et l’on verra la suite funeste : la Guerre de Troie.




La Guerre de Troie n’aura pas lieu

         Du moins chez Offenbach et ses deux érudits librettistes qui nous en présentent les héros, avant la tragédie, en pleine comédie de ces boulevards tracés par le Second Empire en gloire et en fête : Hélène en cocotte, Pâris en jeune premier rusé, Oreste en fils à papa débauché, Agamemnon, roi des rois bien vivant encore (où est passée Clytemnestre?), Achille bouillonnant et vibrionnant myrmidon au cerveau limité par le casque, et Ménélas, en exemplaire parfait des cocus du vaudeville français du temps, la poire de l’affaire.


         Mais La Belle Hélène (1864) est aussi connue que méconnue. Qui, en effet, aujourd’hui, peut identifier, pour s’en délecter, toutes les références généalogiques, mythologiques, détournées de façon comique, qui tendent, comme l’arc d’Ulysse, le texte hilarant mais très érudit d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, les duettistes librettistes futurs auteurs de Carmen ? Ainsi, une seule allusion rapide d’Achille combattant « à un contre mille », « grâce à [son] plongeon » ne se comprend que si l’on sait que sa mère, pour le rendre invulnérable, le plongea, enfant, dans les eaux du Styx, fleuve des Enfers, pour le rendre immortel, le tenant simplement par les talons, seules parties non trempées qui resteront ainsi vulnérables : il en mourra d’une flèche de Pâris, lors du siège de Troie. D’où l’expression, le talon d’Achille, la part, le maillon faible de quelqu’un. Mais à texte savant, musique virtuose, qui décomposant des mots de manière surréaliste déjà, a sans doute fixé dans la tradition et la mémoire collective ces noms de rois, ainsi, le bouillant Achille, « le roi myrmidon », ce roi « barbu, bu qui s’avance, c’est Agamemnon », Ménélas, « l’époux, poux de la reine », qui partira « pour la Crète », l’île aux cornes qui orneront sa tête après que Pâris sera parti, avec sa femme Hélène, pour Troie.




Réalisation et interprétation

         Beaux décors (Éric Chevalier, Ateliers de l'Opéra de Marseille) à la grecque, portiques, frise et vue sur le Parthénon ou un temple de ce type. Nous sommes pourtant à Sparte chez la reine Hélène et le roi Ménélas qui en a obtenu le trône en dot par son mariage. Une Sparte peu spartiate par la débauche —déjà— des superbes coiffures, parures, de magnifiques costumes, luxe et luxure d’une Grèce de fantaisie heureuse, de la comédie et non de la tragédie (Frédéric Pineau, Opéra théâtre de Saint-Étienne), très habillés ou déshabillés pour la Belle des belles qui peut se le permettre par l’impeccable plastique de Laurence Janot, qui l’incarne, littéralement, en chair justifiant qu’elle est le prix de la pomme « à la plus belle » promise à Pâris par Vénus qui la voit sans doute comme son double, et qui la chante et nous enchante par une voix ronde, ductile, facile, suavement sensuelle, nuancée, par une marche et démarche toute d’élégance souveraine : morceau de choix, morceau de roi, de rois (qui tous, se la disputèrent : cent candidats fiancés !) . Son récit dramatique, parodie d’opéra italien (« Ciel, l’homme à la pomme… ») avec ses cadences cocottantes virtuoses, est d’anthologie.

         Le cabinet où la Belle barbote en sa baignoire en méditant gravement sur la fatalité familiale d’une vertu ballotée, cascadée par les facéties de Vénus, a pour portrait de famille une élégante et érotique sculpture néo-classique de XVIIIe siècle libertin, maman Léda caressant le col phallique de papa le cygne. La scène de sortie de l’onde nous vaut d’affriolants aperçus de ses charmes dans le simple appareil d’une beauté arrachée à son bain, qui n’a rien à dissimuler : Vérité du Beau, du Bon, du Vrai, on est dans le platonisme le moins platonique mais le plus esthétique qui soit.


Cependant, même issue d’un œuf, Hélène n’est pas une cocotte —minute, papillon, « what did you expect ? » — elle demande à la belle Bacchis (Carole Clin) une chaste robe non décolletée, montant jusqu’au col, pour ne pas allumer, enflammer le bon berger, l’homme à la pomme, Pâris. Celui-ci (Kévin Amiel) est physiquement plus rustique berger que Prince altier mais ses aigus pénétrants du mont Ida sont les promesses d’un coq non en pâte ni empâté, qui chante tout la nuit, et même si « Ce n’est qu’un rêve », que serait-ce, pauvre Ménélas, dans la réalité ? comme le reproche la belle épouse choquée par l’impolitesse d’un mari peu galant homme rentré de la Crète à l’improviste sans aviser d’avance sa femme, s’exposant de la sorte à des désagréments matrimoniaux. Joué par la reine, jouet malmené des autres rois qui, pour sauver la Grèce de l’épidémie de luxure envoyée par Vénus vexée de le voir contrarier ses projets d’amour entre Hélène et Pâris, le somment, l’assomment d’exhortations à l’immolation maritale de cocu consentant, sommet de drôlerie (Dominique Desmons), ébahi, ébaubi, faraud effaré mais pas effacé du tableau du déshonneur conjugal où il reste, à jamais, dans l’Histoire, le premier des « Ménélas de l’avenir ».

        Le quarteron des autres rois de la Grèce est à la hauteur, sinon de l’Histoire, de cette histoire drolatique : tout d’autorité vocale digne du Roi des rois, Philippe Ermelier est un Agamemnon dont le nom dispense d’en dire plus long ; Jean-Marie Delpas, c’est Achille, moins bouillant que bredouillant, sinon de la voix tonnante, d’un esprit détonant dans la Grèce de la raison ; Jacques Lemaire et Yvan Rebeyrol, Ajax I et II, Dupond et Dupond de l’Antiquité, d’inénarrable manière les campent et Samy Camps, par la voix et le physique, est un séduisant fils à papa sans maman à tuer, gay ou gay Oreste, dans un rôle dévolu à une femme, escorté d’accortes compagnes (Nelly B, Lorrie Garcia) des plaisirs et des jeux. Grandiose voix d’intrigant grand augure qui inaugure le spectacle, grand Prêtre qui se prête aux manœuvres de Vénus, tricheur et frauduleux, Michel Vaissière, est un irrésistible Calchas.

         Tous ce monde joue, chante, danse dans une mise en scène inventive de Bernard Pisani, fourmillant de trouvailles cocasses ou même poétiques (la colombe, volante danseuse), dynamique, sans un temps mort, intégrant avec fluidité le quartette léger et virevoltant des danseurs dont la longueur des noms semble faire une troupe complète (Chloé Scalèse, Liya Semenkova-Tobiass, Ángel Gabriel Cubero Alconchel, Grégoire Lugue Thébaud).


         Intégré aussi dans l’action et le mouvement, le Chœur Phocéen bien préparé (Rémy Littolff) mérite des éloges tout comme l’Orchestre du Théâtre de l'Odéon, en notables progrès. Il est vrai qu’à leur tête, Emmanuel Trenque, chef de chœur de l’Opéra de Marseille, s’avère aussi un chef d’orchestre remarquable, ayant tout son monde à l’œil, le menant à la baguette vive et souple. Digne successeur de Pierre Iodice à ce poste, directeur d’orchestre également, on souhaite à Emmanuel d’avoir vite, comme son prédécesseur, une phalange à lui.

         Une nouvelle production qui mériterait de tourner.


La Belle Hélène
 de Jacques Offenbach,

Marseille,

Théâtre Odéon

15 et 16 octobre,

Chœur Phocéen, chef de chœur : Rémy LITTOLFF
Orchestre du Théâtre de l'Odéon
Direction musicale : Emmanuel TRENQUE

Chef de chant : Caroline OLIVEROS

Mise en scène : Bernard PISANI

Assistant mise en scène : Sébastien OLIVEROS

Décors : Éric CHEVALIER (Ateliers de l'Opéra de Marseille).

Costumes : Frédéric Pineau, Opéra théâtre de Saint-Étienne.
Distribution :

Hélène :  Laurence JANOT

Bacchis : Carole CLIN

Parthénis : Nelly B

Loæna : Lorrie GARCIA

Pâris : Kévin  AMIEL

Oreste : Samy CAMPS

Calchas : Michel VAISSIERE

Agamemnon : Philippe ERMELIER

Ménélas : Dominique DESMONS

Achille : Jean-Marie DELPAS

Ajax I : Jacques LEMAIRE

Ajax II : Yvan REBEYROL

Photos : Christian Dresse
1.Un grand augure pris de luxure ; 
2. Les rois de la Grèce ;
3. La reine et le berger ;
4. La belle en son bain ;
5.  Hélène et Pâris ;
6. Hélène et Calchas : demande d'un rêve…



        

lundi, octobre 24, 2016

Humanité cruelle au prétexte de Dieu


Iphigénie en Tauride
Goethe, Jean-Pierre Vincent
Marseille,
Théâtre du Gymnase,
 14 octobre 2016
L’œuvre
« Apaise-t-on le ciel par des assassinats ? » C’est la question que pose Iphigénie, prêtresse de Diane préposée aux sacrifices humains, dans la version lyrique de Gluck (mai 1779, livret de N.-F. Gaillard) au roi Thoas de Tauride qui attend d’elle qu’elle exécute encore deux étrangers pour détourner de sa tête la colère divine. C’est un parfait résumé de la problématique déjà humaniste de l’Iphigénie en Tauride (414-412 A. J. C.) d’Euripide, un plaidoyer contre les sacrifices humains encore admis par les Grecs. L’auteur antique fait dire à son héroïne, sauvée pourtant par Diane du sacrifice en Aulide, mais révoltée en Tauride contre la déesse avide de sang humain :
« J'ai lieu de me plaindre des lois imposées par la déesse […] Les habitants de ce pays, habitués à verser le sang des hommes, ont rejeté sur les dieux leurs mœurs inhumaines, car je ne saurais croire qu'une divinité puisse faire le mal. »
Des hommes mauvais faisant des dieux cruels à leur image, alibi et prétexte de leur inhumaine cruauté. On se souvient de la boutade de Voltaire :
« Dieu fit les hommes à son image : on le lui a bien rendu. »
Mais l’Iphigénie antique rêve de dieux à sa douce image : bons et compatissants. Rêve pieux dont elle fait un inlassable militantisme généreux qui résonne encore aujourd’hui face à la barbarie qui nous assiège et à la terrible actualité d’un Dieu prétendument de bonté altéré de sang profane.
     Problème également débattu en ce Siècle des Lumières, aux aspirations généreuses, à travers le mythe d’Iphigénie : sacrifiée en Aulide à ses intérêts politiques par son père Agamemnon pour apaiser Diane et avoir des vents favorables contre Troie, sauvée in extremis par la déesse lui substituant dans un nuage opaque une biche (comme Abraham arrêté par un ange au moment où il allait sacrifier son fils à la demande de Dieu qui le remplace alors par un bouc), Iphigénie, sera elle-même contrainte de perpétuer, à son corps défendant, les sacrifices humains à Diane dans une Tauride barbare.
 Le mythe d’Iphigénie, remis en scène par le classicisme de Racine dans son Iphigénie en Aulide (1674), traduite en italien en 1707 à Venise par Pietro Riva, avec le pendant de l’Ifigenia in Tauris de Jacopo Martello en 1709, passant du théâtre parlé à l’opera seria, devient l’étendard des réformes lyriques de l’aube du néoclassicisme avec l’Ifigenia in Aulide du réformateur Apostolo Zeno, à Vienne en 1718. Les versions lyriques de la tragédie ne vont plus cesser jusqu’à la fin du siècle, dont une aussi de 1779 à Naples mise en musique par l’Espagnol Martín y Soler, futur triomphateur de Mozart à Vienne. Le Viennois Gluck, avait déjà refusé à Paris un premier livret français en 1776. Ainsi, lorsque Goethe donne son Iphigenie auf Tauris en avril 1779, la fille d’Agamemnon et Clytemnestre, sœur d’Électre et d’Oreste, Iphigénie est un sujet, un texte à la mode, prétexte esthétique et éthique aux réformes néoclassiques du théâtre —et des mœurs moralisatrices depuis Rousseau, à dix ans de la Révolution française.

RÉALISATION ET INTERPRÉTATION
Et pourtant, bien datée en son jeu et enjeux, cette pièce, si l’on excepte les généalogies mythiques qui, même bien précisées d’abord en voix off puis en texte, passent, hélas, au-dessus de la tête d’une grande partie du public aujourd’hui acculturé en la matière, n’a pas pris une ride. Gageure gagnée de Jean-Pierre Vincent ramant à contre-courant de la facilité culturelle, en général, du théâtre aujourd’hui. D’autant que, sans forcer la note, sa lecture nous en livre une modernité d’une terrible acuité actuelle.
Sur fond de pré verdoyant (ou de mer ondoyante ?) mais avec un horizon en plan incliné, un arbre découpé en silhouette symbolise le bois sacré ; une chaise paillée d’un bleu grec contemporain (?) ; à jardin, un rocher, la nature brute stylisée et, à cour, des éléments d’architecture antique, une colonne brisée, une ébauche d’hémicycle en trois degrés, et, presque centrale, une table, moins de la civilisation que de la brutalité barbare des hommes : un autel de sacrifice du temple de Diane (décor de Jean-Paul Chambas). Sobre scénographie aux lumières dramatiquement expressives, d’aube à nuit, jour doré, en passant par des crépuscules somptueux (Benjamin Nesme). Sur cette épure classique du lieu unique, la pureté d’un jeu à cinq où la parole, la rhétorique antique réassumée par Goethe, sera maîtresse, jamais parasitée par une gestique excessive.
     D’abord, en chiton blanc, tunique traditionnelle, écharpe suspendue par une fibule à l’épaule gauche, paraît Iphigénie (Cécile Garcia-Fogel), brune, cheveux courts, grand yeux : dans ses gestes, dans sa grâce, ses mouvements graciles, c’est une vive biche humaine en laquelle Diane la transforma pour la sauver du sacrifice à Aulis, et la douceur mélodieuse de sa voix, loin de la déclamation tragique, rend plus évidentes et terribles les choses qu’elle dit et dira. D’abord, l’inégalité entre hommes et femmes :
« Je ne querelle pas les dieux ; mais la condition des femmes est pitoyable. A la maison comme à la guerre, c’est l’homme qui règne. […] À lui la joie de posséder, à lui la couronne de la victoire ! »
Elle ne met pas, en apparence, les dieux en procès mais c’est déjà l’interpellation d’une révoltée qui ne se résigne pas à l’ordre immonde du monde. La clémence dont elle fait preuve en éludant les sacrifices rituels contre les étrangers, ayant même, par sa douceur, gagné l’amour du roi Thoas attendri dans sa rigueur et l’amoureuse affection de son conseiller Arcas, est une mission civilisatrice de la femme face à la sauvagerie de l’homme. Exilée comme autant d’autres aujourd’hui sur un rivage étranger, dans l’exil aussi d’une mission sacrificatrice qu’elle exècre, elle use de son pouvoir pour sauver des vies, mettant et misant la sienne dans l’utilité de l’action :
« Une vie inutile est une mort avant l’heure. »

Face au plaidoyer d’un Arcas aussi massif que tendre et délicat devant elle, dont la voix et l’attitude protectrice et respectueuse sont gagnées de cette douceur contagieuse (Thierry Paret), qui la rassure sur son utilité, elle rétorque par une maxime généreuse d’une grande âme toujours insatisfaite en sa mission : « ce qui a été fait » n’est rien en regard de ce qui reste à faire. Magnifique leçon humaine d’une frêle jeune femme face aux dieux injustes et aux hommes despotiques, grandeur d’une leçon en langage clair et voix toute simple, qui ressortit, cependant, à la rhétorique antique du sublime revenue en force, dans tous les arts, au Siècle des Lumières —qui a aussi ses ombres comme la misogynie de la lumineuse Flûte enchantée maçonnique d’un Mozart contemporain.
Affublé d’un manteau rouge, lesté d’un clinquant collier barbare sur un pourpoint noir, épée à la main, le roi Thoas, voix grave, noble et redoutable allure (Alain Rimoux), voit son élan, pourtant amoureux, brisé sur le roc fragile de l’inébranlable jeune fille. Posée sur le rocher comme un oiseau solitaire les ailes de ses bras autour de ses jambes, accroupie telle une pauvre petite fille apeurée, puis grandie sur le piédestal d’un degré, elle opposera à la volonté de mariage d’un roi absolu toutes les ressources de la mètis, la ruse, arme des faibles, déclinant alors son identité, déployant avec toutes les ressources de la rhétorique des affects, l’horreur irrémissible et rédhibitoire de sa généalogie impie et abominable de Tantale à Pélops, de Thyeste à Atrée, affrontée aux dieux puis confrontée en famille aux pires instincts meurtriers, festins cannibales de neveux servis en repas au père, et la malheureuse ignore encore le régicide d’Agamemnon son père par sa mère et le matricide de son frère Oreste. Une malédiction, dirait-on aujourd’hui, génétique. Non posée transparaît la question du libre arbitre : échappe-t-on au déterminisme familial (des gènes), social (prêtresse sacrificatrice), ethnique ( Grecque en Tauride) ?
     On comprend, à cette longue tirade sur la monstruosité des hommes, débitée d’une si douce voix par l’actrice, que Freud ait découvert, dans la tragédie grecque, où les pires horreurs sont dites et jamais montrées, jamais commises, le pouvoir libérateur de la verbalisation, de la parole humaine : la parole sur le crime et non la répétition de l’acte meurtrier.
Une dynastie qui a fait du fratricide une tradition familiale, dira plaisamment le blond, juvénile, fringant et chaleureux Pylade (Pierre-François Garel), manteau XVIIIe siècle (costumes, Patrice Cauchetier) à un Oreste sombre, mal rasé, hirsute (Vincent Dissez), détruit par son crime contre sa mère, couverture ou reste d’exomide, manteau grec loqueteux sur le dos, tel un émigré naufragé des temps modernes. Le fidèle Pylade aura beau réconforter le frère d’Iphigénie au nom de leur amitié-amour entre hommes à la grecque, prodiguer les sages paroles apaisantes (« On hérite la bonté de ses parents, non de leur malédiction »), l’homme fatal poursuivi par les impitoyables Érinyes poursuit son inlassable cauchemar culpabilisant qui fait frémir certains spectateurs, mais dont l’inculture mythologique du public s’amuse, d’autant que son élocution outrée, causée par le délire, est la seule qui déroge à la noble simplicité des autres personnages raisonnables et raisonneurs. Le couple, dont le contraste est bien mis en valeur apporte un élément presque humoristique au spectacle, Pylade lumineusement persuasif et Oreste hystérique, forcé à l’excès par les Furies.
     On admire la fluidité des entrées et sorties des personnages avant et après la rencontre, le conflit se nouant sur le refus du mariage par Iphigénie et le refus du roi humilié de poursuivre la trêve dans les sacrifices, la renvoyant à son devoir de prêtresse de sacrifier les deux étrangers, dont le suspense lui fait ignorer l’identité que nous connaissons.
Aristote considérait que le passage d’Euripide où Iphigénie découvre enfin l’identité de son frère au moment où elle va le sacrifier était la plus belle scène de reconnaissance du théâtre grec. Chez Goethe, elle sera étalée, donnant lieu à d’autres péripéties, dont la tentative d’évasion des trois Grecs. Mais le Siècle des Lumières, comme dans l’opera seria n’aime que le lieto fine, le happy end. Thoas, sans doute civilisé par la femme douce qui le traite en père sinon en époux, entrant dans la lignée du despote éclairé, de ce « Turc généreux » de tant d’autres pièces ou opéras, aura la générosité de laisser partir, avec la femme qu’il aime, les deux amis grecs qui, au terme d’une sorte de mission commando en terre ennemie, rapporter à Mycène le vivant trophée qui arrête enfin la malédiction divine sur des hommes libres rendus à la terre, sainement émancipés des liaisons dangereuses avec les puissants :
     « La race des mortels est trop faible pour supporter sans danger la fréquentation des dieux. »
Belle leçon encore, politique maintenant,  de cette si belle Iphigénie.
Marseille, Théâtre du Gymnase
14 octobre
Iphigénie en Tauride de Goethe
Texte français de Bernard Chartreux et Eberhard Spreng ;
Mise en scène : Jean-Pierre Vincent
Dramaturgie : Bernard Chartreux ;
Assistanat à la mise en scène et à la dramaturgie : Frédérique Plain, Léa Chanceaulme ;
Décor : Jean-Paul Chambas ; collaboratrice décor : Carole Metzner ;
Lumières : Benjamin Nesme ;
Costumes :  Patrice Cauchetier ;
Maquillages : Suzanne Pisteur ;
Son :  Benjamin Furbacco
Avec
Iphigénie : Cécile Garcia-Fogel ; Oreste : Vincent Dissez ; Pylade : Pierre-François Garel ; Arcas : Thierry Paret ; Thoas : Alain Rimoux.

Photos  : Raphaël Arnaud 
1. Arcas, Iphigénie ; 
2. Iphigénie et Pylade ;
3. Thoas, Iphigénie, Oreste.

jeudi, octobre 20, 2016

OMBRE ET LUMIÈRE D'URIA-MONZON



SOL Y SOMBRA

Opéra Grand Avignon

8 octobre 
Béatrice Uria-Monzon


         Ombre et soleil de l’Espagne dans la voix de Béatrice Uria-Monzon et la complicité d’un trio remarquable, piano (Jean-Marc Bouget), violon (Christophe Guiot), violoncelle (Jean Ferry), brodant, tissant une somptueuse mantille musicale autour d’elle. Tout un programme de musique espagnole car, à part la « Chanson bohème », la séguedille de Carmen, musique de Bizet mais rythme typiquement hispanique, la habanera du même opéra qui ouvrait le concert de la plus grande Carmen de sa génération, est un emprunt que fit le compositeur à l’Espagnol Sebastián Iradier, auteur de la célébrissime Paloma, en reprenant, pratiquement in extenso, son duo humoristique et sensuel El arreglito.


Comme on tire un rideau pour découvrir un tableau ou la scène, le trio ouvre littéralement le concert par l’ouverture de Carmen adaptée à leurs instruments : elle paraît, dans une robe rouge exaltant son teint de brune, et, comme dans un concert rock ou jazz, ou même autrefois dans les opéras en Italie, le public, irrespectueux pour ces beaux musiciens en pleine musique, applaudit la star.

Elle se lance dans la « Habanera », son début, et sa fin, son bis, même couplé malicieusement et « sororalement » avec « La gitana » de José Serrano, gitane de zarzuela, sera la séguedille de cette même Carmen : comme une identité lyrique et scénique revendiquée, assumée, mais manière subtile, me semble-t-il, d’enclore et dignifier ce concert espagnol sous les auspices de Bizet dont la Carmen, pour française qu’elle soit, n’existerait pas non seulement par le sujet, mais par la musique espagnole à laquelle elle doit son inspiration dans nombre de pages des plus expressives, non seulement habanera et séguedille mais aussi le magnifique prélude du dernier acte, génialement puisé dans un polo du fameux Manuel García (1775-1832), père de la Malibran et de Pauline Viardot, chanteur, interprète et collaborateur de Rossini, compositeur de quarante opéras, qui fixe déjà les couleurs de la musique espagnole dans des tonadillas et un grand nombre de chansons fort fréquentées dans une France férue d’Espagne depuis le romantisme et le règne de l’impératrice espagnole Eugénie de Montijo.

Il y a quelque chose d’émouvant à sentir cette grande Carmen franco-espagnole, plonger en Espagne, approfondir dans ce concert ses racines espagnoles, paternelles. Comme une introspection ? On dit, d’étrange façon, langue « maternelle », de ‘la mère’, pour la langue de la « patrie » qui serait le ‘pays du père’. Ici, Béatrice, avec je dirai respect, et beaucoup de pudeur, entre dans ce répertoire de la culture paternelle qu’elle fait sien par droit sinon du sol, du sang, quand le talent suffit à légitimer le choix d’un grand interprète. Mais, on pardonnera la réception forcément subjective de ce concert, je trouve, dans ce vaste programme, comme une exploration personnelle, sensible, sans doute assez secrète mais qu’elle nous fait partager un peu, de la chanteuse qui s’inscrit aussi dans la lignée des grandes cantatrices espagnoles familières de ce répertoire. Elle ne fait pas non plus que chanter : quand ses partenaires jouent, ensemble ou en solistes vraiment merveilleux, elle ne quitte pas la scène, elle vit avec eux leur musique, sa musique. Qu’elle servira     avec la même dignité que sa Carmen, sans faire de l’Espagne une espagnolade, loin des redoutables interprétations ultra coloristes de notre couleur locale.

Du grand compositeur pianiste Enrique Granados (1867-1916), mort tragiquement en mer de retour de la création triomphale à New-York de son opéra Goyescas tiré de sa fameuse suite pianistique inspirée des tableaux de Goya, elle nous offrira quelques Tonadillas, encore d’inspiration XVIIIe siècle. Elles prennent source et nom de ces innombrables saynètes satiriques très brèves, de vrais trésors, mêlant chant et danse typiques et texte, mettant en scène en général une piquante maja, élégante du peuple de Madrid, se jouant malicieusement des majos galants et des petits-maîtres sophistiqués à la française, époque encore joyeuse du Siècle des Lumières peinte par Goya dans ses lumineux et humoristiques cartons de tapisseries. De la collection de Tonadillas (1910), mais réduites à des airs, seules trois d’entre elles gardent l’esprit badin original : « El tra-la-la y punteado », « El majo tímido » et  « El majo discreto », que Béatrice Uria-Monzon chante avec la grâce primesautière et la légèreté qu’il convient : solaire. Les trois Majas dolorosas, tout en s’inspirant toujours de l’univers des majos de Goya, sont un basculement nocturne qui est déjà celui de l’opéra Goyescas, d’un néoromantisme morbide avec la mort inacceptable en rendez-vous et le lancinant souvenir du bonheur perdu : ombre et deuil. La grande voix de la chanteuse se déploie sur deux pleines octaves d’un grave extrême (fa) à l’aigu déchirant de douleur avec le sens dramatique qu’on lui connaît, la beauté pianistique égrenant, perlant de larmes, déroulant le voile noir de la mélancolie (« De aquel majo amante… »). Grâce mélancolique encore que la fameuse pièce « La maja y el ruiseñor », poétiques confidences amoureuses que la belle à son balcon ou sa reja, sa fenêtre grillée, en l’absence de l’amant, adresse au rossignol qui s’ébroue dans les feuilles, dont les doigts délicats de Jean-Marc Bouget font sentir le bruissement, farfouillis feutré de feuillage, les battements d’ailes des trilles battus de l’oiseau fondus enfin dans le silence rêveur de la nuit.


Avec Manuel de Falla (1876-1946) et ses Siete canciones populares, la musique espagnole folklorique fixée déjà grâce aux Tonadillas escénicas du XVIIIe siècle, à Manuel García, répertoriée, codifiée, dans sa vaste variété par Felipe Pedrell à la fin du XIXe, retrouve dans ces chansons des racines authentiques du peuple, rythme, couleur et textes poétiques, dans la traditionnelle inspiration populaire de la musique savante. Écrites sur des coplas, quatrains octosyllabiques assonancés aux vers pairs, héritage du romancero, sur lesquels s’est bâti pratiquement tout le folklore hispanique, de la Péninsule à l’Amérique latine, c’est un parcours musical synthétique de l’Espagne, qu’on réduit abusivement à l’Andalousie. Deux des trois chansons choisies par la chanteuse viennent du sud : « El paño moruno », réécriture d’un thème populaire andalou, cruelle métaphore de la femme déshonorée, avec un piano virtuose ostinato imitant le rasgueado et le punteado de la guitare, arpégé et pointé du flamenco, et la « Seguidilla murciana », véloce séguedille de Murcie, implacable rythmique à l’impeccable rendu dans ses triolets et mélismes. La « Jota » a l’arrogance drue et drôle de l’Aragon. Mais c’est à la voix tendre du violoncelle émouvant de Jean Ferry qu’est dévolue la cantilène mélancolique de l’«Asturiana», d’une région à la musique plus mélodique que rythmique, où les nets contours ibériques se teintent de brume celte jusqu’au Portugal, et Falla fait passer en finesse l’évocation bleutée de la gaita, la cornemuse du nord-ouest de l’Espagne, horizon vaporeux de nostalgie. En vif contraste, la célèbre « Danse du feu » de l’Amour sorcier est un grand moment instrumental qui transporte et soulève le public avec ces derniers accords  tranchés, inexorables comme des arrêts du destin.

Jesús Guridi (1886-1961), prolifique compositeur proche de Vincent d’Indy, Basque, est présent dans ce panorama péninsulaire par trois des Seis canciones castellanas (1939) : sécheresse rythmique héroïque avec une montée par demi-tons de « Llámale con el pañuelo » ; « ¿Cómo quieres que adivine ? », sorte de joyeuse dynamique séguedille castillane et, en contraste de rythme et couleur, « No quiero tus avellanas », climat mystérieux avec la transparence cruelle, comme l’eau de la fontaine, de la lucidité sur la fugacité des serments d’amour, beau phrasé d’une voix planant lentement, largement, suspendue sur la pudeur contenue du chagrin.

La seconde partie s’ouvrait somptueusement avec le premier mouvement du Trio N°2 en si mineur, opus 76 de Joaquín Turina (1882-1949), qui mérite d’être entendu en entier. Côté vocal, Turina, intégrant les mélismes du flamenco stylisé, illustre la grande mélodie de salon, très lyrique, comme en témoigne son Poema en forma de canciones, aux coplas du poète savant Campoamor qui mériteraient d’être qualifiées de populaires tant il retrouve la sève du peuple. Uria-Monzon en interprète quatre toujours dans un subtil alliage et contraste de couleurs, de rythmes et de tempi, dont les virtuoses « Cantares » aux sauts périlleux, à la tessiture tendue, et aux vocalises flamencas qui doivent beaucoup au Baroque, ou le contraire.

Fernando Obradors (1897-1945) est un autre de ces compositeurs sous la chape franquiste qui, coupés de la musique moderne européenne honnie par le fascisme, non exilés comme Falla, soit cultivent la veine andalousiste fomentée par le régime comme Turina, soit se tournent comme Rodrigo vers le passé idéalisé, idéologie officielle d’une Espagne en son sommet du Siècle d’Or. Ses Canciones clásicas españolas (1941) sont, en gros, des coplas du véritable trésor que sont aussi les villancicos, ‘villanelles’ populaires des XVIe et XVIIe siècles dont texte et musique se sont transmis oralement  et par les Cancioneros jusqu’à leur captation par Pedrell. Il est vrai qu’avec une touche respectueuse, Obradors les harmonise et en fait de petits joyaux lyriques et poétiques et Béatrice les sert avec une délicatesse vocale souriante (« Aquel sombrero… »), rêveuse (« Con amores, la mi madre… »), ou irisée de rêverie sensuelle (« Del cabello más sutil… »), mais il y a aussi l’humour du fameux « Vito » (XVIIIe siècle), la virtuosité flamenquiste des « Coplas de Curro Dulce » (XIXe). Quant à la délicieuse vignette orientalisante des « Tres morillas de Jaén », il faut rendre hommage alors au traditionalisme espagnol puisque texte et musique en sont attestés au XVe siècle, à la fin de la Reconquista, et cette forme poétique, un zéjel, un tristique monorrime (couplet  aux rimes par trois, une autre rime sur une note servant le retour du refrain) remonte au IXe siècle et l’on en connaît même l’auteur, le Ciego de Cabra, ‘l’Aveugle de Cabra’ !

Du compositeur Edouard Toldrá (1895-1962), puissant animateur de la vie musicale à Barcelone, auteur de nombre de mélodies en catalan, il appartiendra, dans un équitable partage des instruments solistes, au violon ailé de Christophe Guiot de nous faire découvrir et goûter son Cuaderno.

Enfin, on apprécie que Béatrice Uria-Monzon avec charme, humour, serve la verve et la veine de la zarzuela, répertoire d’une immense variété lyrique, avec les irrésistibles carceleras de Las hijas del Zebedeo de Chapí, et la liberté de l’air de Paloma de Barbieri, très grands compositeurs dont la gloire est si grande pour les Espagnols qu’on se passe de leurs prénoms. Et on rêve de la voir, de l’entendre, arrachée un peu aux grands rôles tragiques seyant à l’ombre de sa voix, rendue au soyeux soleil d’une Carmen espagnole sans tragédie : dans la joyeuse zarzuela.


Bref, oui, il aurait fallu être plus long pour rendre mieux compte de ce riche et ambitieux récital auquel on sait gré de l’image musicale d’une vraie Espagne sans caricature, par une chanteuse habituée des grandes scènes mais qui fait scène unique de chacune des mélodies : toujours différente et égale à elle-même.

         Un concert très équilibré, la Diva la moins diva qui soit ne tirant pas toute la couverture à soi mais laissant largement le champ, le chant dira-t-on, aux voix du violoncelle, du violon et du piano, tous merveilleusement chantants.

Sol y sombra
Opéra Grand Avignon
8 octobre

Béatrice Uria-Monzon, mezzo-soprano ;
Christophe Guiot, violon ;
Jean Ferry, violoncelle ;
Jean-Marc Bouget, piano,
de l’Opéra National de Paris

Bizet, Granados, de Falla, Guridi, Turina, Obradors, Toldrá, Chapí, Barbieri.


dimanche, octobre 09, 2016

AIMER MARSEILLE PAR L'OPÉRETTE

                                                            Marseille mes Amours
                                          Le fabuleux récital d’opérettes marseillaises!

                                            Théâtre des Arts (Sainte Marguerite 13009)

                                                             15 Octobre à 20h30
                                                               16 Octobre à 15h


         Récital mettant en avant le répertoire de l'opérette Marseillaise des années 1930, de Vincent Scotto et de René Sarvil. Marseille mes Amours, un récital au style délicieusement rétro qui met à l'honneur le fabuleux répertoire de l'opérette de Vincent Scotto. Perrine Cabassud (Soprano), Jean-Christophe Born (Ténor) et Cyrille Muller (accordéon) vous entraînent dans les années 30, au travers de larges extraits des joyeuses opérettes marseillaises : auprès de Miette vous descendrez A petit pas, La Canebière, pour finir par danser Le plus beau de tous les tangos du monde dans Un petit cabanon au rythme des Pescadous...une véritable plongée dans le doux passé des plus belles heures marseillaises!
Réservation:  04 91 26 09 06

Marseille mes Amours LIVE PEYNIER
Infos pratiques:
• Le 15 Octobre à 20h30
• Le 16 Octobre à 15h
• Spectacle au Théâtre des Arts
133 Boulevard Sainte Marguerite (13009 Marseille)
• Tarif : 12 euros - TR : 10 euros - Res: 04 91 26 09 06

samedi, octobre 08, 2016

VÉRISME ET VÉRITÉ


LE VÉRISME : VÉRITÉ DE THÉÂTRE
CAVALLERIA RUSTICANA
Livret de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci
d’après la nouvelle de Giovanni Verga
Musique de Pietro Mascagni
(Rome, 1892)

PAGLIACCI
Livret et musique de Ruggero Leoncavallo
(Milan, 1892)
Toulon, 4 octobre 2016

Les œuvres : le vérisme
         La tradition a justement lié ces deux opéras courts, le premier, Cavalleria rusticana (‘Chevalerie paysanne’) de Mascagni (1863-1945), un acte, sonnant en 1890 l’entrée fracassante du naturalisme dans l’opéra, le « vérisme » ; le second, deux actes, 1892, Pagliacci (‘Paillasse’) confirmant le succès de cette veine et offrant, avec le personnage emblématique du Prologue, l’esthétique du courant vériste : « personnages de chair et de sang, vraies larmes », pétition de réalisme, de vérité. Démentie, naturellement, par l’impossible vérisme de l’opéra avec des personnages qui chantent (et en vers souvent !), aucun art d’ailleurs ne pouvant être réaliste, naturaliste ou vériste dans une vérité autre qu’une stylisation artistique du réel : donc, une esthétique de convention qu’il est ridicule d’opposer à d’autres courants, baroque ou romantique. Par ailleurs, ce fameux Prologue théâtralise tellement la vérité qu’il fait du vérisme ce qu’il est vraiment : du théâtre. Le Prologue conclut sa présentation par ‘Commençons !’ et le héros meurtrier donnera la conclusion de l’œuvre : ‘La comédie est finie !
Si l’on abandonne les théories abstraites pour le constat des créations pratiques, le vérisme, il est vrai, abandonne dieux, demi-dieux, héros historiques ou nobles, au profit de personnages apparemment plus communs, si leur drame ne les élevait au-dessus d’une condition ordinaire. Il semble donc mieux défini par le choix de ses sujets, qu’on se gardera de qualifier abusivement de quotidiens, car le fait divers, le crime passionnel ne sont heureusement pas journaliers. Il est surtout caractérisé par sa vocalité qui rompt avec la tradition belcantiste romantique du chant orné (hors cela, La traviata serait vériste par son sujet), au profit d’une expression vocale plus brute et passionnelle, dans des tessitures plus centrales le plus souvent et un orchestre nourri qui a retenu les leçons de Wagner.
         Inspirée d’une nouvelle puis d’une pièce de l’écrivain, dandy sicilien, Giovanni Verga, cette « Chevalerie paysanne », finit par le duel d’honneur, lourd héritage espagnol de la Sicile, qui oppose un époux bafoué, Alfio, à Turiddu, jeune séducteur de sa femme, Lola, lequel a déjà séduit et abandonné Santuzza, qui, désespérée de son rejet, en informe l’époux : larmes et sang, mais aussi toute la pesanteur d’une société ligotée par les préjugés de classe et religieux : la mort a lieu lors de la fête de Pâques, de la Résurrection. L’opéra gomme la dimension sociale de la nouvelle de Verga : Turiddu, pauvre, revenant de l’armée, trouve sa fiancée Lola mariée à un riche : il refera sa conquête pour se venger du possédant et séduira aussi Santuzza, la plus riche héritière du village. Cette dernière, excommuniée pour cet amour hors mariage, se sent maudite et maudit aussi son amant (« A te la mala Pasqua ! » ‘Mauvaise Pâque à toi !’), malédiction qui ne tarde pas à se réaliser le même jour qui verra la mort de l’infidèle au crépuscule. Tragédie vériste, économe en moyens, qui répond donc à l’exigence dramatique classique :

         « Qu’en un jour, qu’en un lieu, un seul fait accompli
         Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. »
         L’action progresse par l’intensification des sentiments de Santa : demande de secours à la mère de l’infidèle, vaine demande d’amour à ce dernier,  reproches à l’épouse adultère, et enfin terrible aveu au terrifiant époux bafoué.
         Tout en décalquant ce modèle, mélangeant scènes de genre, chorales, et affrontement d’abord potentiel des personnes dans la réalité de la vie, puis réelle confrontation des personnages dans l’irréalité de la scène, dans un mélange de la vie et du théâtre, l’une débordant l’autre, le plus musicalement subtil Pagliacci de Leoncavallo (1858-1919), présente une pauvre troupe de comédiens ambulants de la Commedia dell’arte, dont le chef, qui joue le Paillasse, le clown, le comique souffre-douleur traditionnel, est avisé de son infortune par Tonio, bossu dépité du rejet de ses avances par la jolie et légère épouse du premier : c’est Quasimodo dont l’amour se tournerait en haine contre l’objet interdit de ses désirs, ici, c’est Paillasse contre sa frivole Colombine.
         Dans le second acte, miroir apparemment festif du premier, pendant la représentation, voyant répétée par le jeu théâtral sa situation de cocu, gagné par la réalité, de la situation fictive, alors qu'il prétendait auparavant que « le théâtre et la vie ne sont pas la même chose », le clown lassé de faire rire à ses dépens conjugaux, poignarde sa femme en pleine scène et l’amant accouru à son secours. Le Prologue annonçait le début du jeu, Paillasse conclut le meurtre par : « La comédie est finie ! »
C’est pendant la fête de l’Assomption, de la montée en gloire de la Mère Vierge au ciel : encore la religion d’amour qui, dans le sang de la religion païenne de l’honneur, finit tragiquement pour la femme adultère, non pardonnée, non lapidée, mais poignardée.

         Deux drames excessifs de la jalousie qui rappellent celui de Carmen, le premier à l’inverse, puisque c’est l’homme volage, vainement supplié par l’amante, Don José féminin, qui meurt ; le second, plutôt la nouvelle de Mérimée où García le Borgne, le mari de Carmen, au lieu d’être assassiné par José, tuerait lui-même les amants. On le remarquera : le XIX e siècle crée le joyeux vaudeville bourgeois et le cocu roi, mais manifeste le goût du crime passionnel chez les gens du peuple : à chaque classe sa solution de l’adultère. Mais la religion sociale de l’honneur, qui contredit la religion du pardon des offenses, autrefois privilège exclusif de la noblesse (sauf en Espagne), est devenu apanage du peuple, de sa « Chevalerie rustique » ou paysanne, bref, populaire.

Cavalleria rusticana
          À l’évidence, la mise en scène de Paul-Emile Fourny absent, réalisée scrupuleusement par Sylvie Laligne, a voulu fuir tout réalisme, tout vérisme de ces œuvres qui en sont l’emblème. Un amoncellement de rocs, vagues pétrifiées de quelque cataclysme ou éruption volcanique (rendant difficile, hasardeuse et peut-être dangereuse l’évolution des chanteurs) peut symboliser sans doute un chaos, sinon originel, des passions. Une forme abandonnée : ce sera Santuzza, déjà marginalisée, rejetée, objet de rebut, dramatiquement solitaire. De manière irréaliste dans ce décor symbolique, elle-même tire du sol et les y rangera quelques toiles transparentes, outrancièrement peintes de pierres, devenant murs, puis église, avec au moins une belle rosace qui, en transparence, de sa lumière, fera un beau cercle sur le sol. Mais ces tulles légers , même alourdis des pierres peintes, figurent mal la pesanteur de l’Église qui écrase la pauvre Santa (au prénom ironiquement pieux), excommuniée et n’osant pénétrer dans l’église. Un tabouret apporté et enlevé par Mamma Lucia sera le seul objet de cette mise en scène si minimaliste qu’elle en paraît absente.
         On comprend que le metteur en scène a voulu évacuer, avec le réalisme, toute couleur locale, mais, justement, les couleurs pastel des costumes des hommes, celui des femmes, disons plutôt des blouses sans apprêt ni grâce, avec, sur les cheveux, ces fichus blancs qui leur fichent une tête de nonnes ou de rescapées d’un camp de concentration, en ce jour solennel du dimanche de Pâques, les bras chargés on ne sait si de gerbes de blé ou de verges, cette maigre procession d’enfants portant une maigrelette statue de la Vierge, nous éloigne tellement de la fastueuse Sicile festive qu’on se demande si, à tant le décontextualiser le metteur en scène n’en dénature pas le texte vidé de sa lourde substance idéologique, sociologique, historique qui justifie la tragédie anachronique de l’honneur paysan : un drame caldéronien du Siècle d’Or imposé par plusieurs siècles de présence espagnole sur l’île et qui ne serait, en France, à la même époque, qu’un amusant vaudeville.
         Les lumières de Patrick Méeüs, comme toujours, sont belles, mais on peut se demander aussi quelle est la raison qui fait de la messe printanière et solaire du dimanche de Pâques, de la Résurrection, une nocturne messe de minuit avec procession de paroissiens portant des lumignons… On reste perplexe de ces partis pris guère explicites.
       Étagés sur ces dénivelés rocheux, les chœurs, remarquablement préparés, font des groupes plastique de bel effet, mais les déplacements de Santa, présente depuis le début de l’ouverture, sont un peu erratiques, comme si elle était livrée à elle-même. Fort heureusement, la musique, la direction implacablement précise de Giuliano Carella qui ne lâche pas ses chanteurs des yeux, mouvant, émouvant l’orchestre des orages passionnels et l’apaisant des moments rêveurs et désolés de l’interlude, est une charpente extraordinaire qui porte le drame et les chanteurs, aussi exceptionnels, à des sommets tragiques.  
À la jolie et frivole, Lola, fiancés d’abord infidèle à Turiddu parti à l’armée, puis, à son retour, à son époux Alfio, Anna Kasyan prête un charme pulpeux et une voix légère, fruitée, sensuelle. Il suffit de quelques brèves scènes et mesures de la rondeur nocturne ici de sa voix, à Marie-Ange Todorovitch, de deuil vêtue, pour faire de Mamma Lucia un archétype d’avance tragique de la Mère méditerranéenne, matriarche et Mater dolorosa, d’abord distante puis fémininement solidaire avec la réprouvée Santuzza, tendre avec le fils, pleine de prémonitions inquiètes et, accablée par la fatalité, endossant en silence le rôle maternel pour la malheureuse commise à ses soins, comme un testament, par Turiddu mort en duel.
Le baryton Carlos Almaguer entre comme chez lui dans le rôle du charretier rude mais pointilleux sur le point d’honneur, Alfio, faisant claquer des aigus insolents, larges, brillants, pleins et virils, tranchants comme des couteaux. Il est vraiment le redoutable et impitoyable époux auquel va se heurter pour son malheur l’imprudent Turiddu. Celui-ci, vêtu d’une vareuse militaire, est pourtant le colossal Lorenzo Decaro, dont la voix ne semble pas, de prime abord, répondre au physique, mais qui en joue avec beaucoup de subtilité tout en entrant dans le moule vériste de crédible et émouvante façon. 

Présente du début à la fin, Santa (‘Sainte, de son nom), la pauvre Santuzza, excommuniée pour le simple péché de chair, qui se sent damnée et condamnée, interdite d’église dans cette religion du pardon dévoyée impitoyablement par les hommes, n’osant entrer chez la mère de son amant oublieux, incarne le cruel paradoxe de ce culte méditerranéen de la mère redevenue image de la Vierge,  comme revirginisée par la maternité, qui donne même sa bénédiction au fils, mais elle, sans mariage ni filiation, en restera reléguée pour toujours. Somptueuse voix de soprano dramatique, ample, large, facile dans les aigus, colorée dans les graves, Deniz Yetim incarne avec vraisemblance les déchirements de la femme séduite, abandonnée —ou qui le croit dans sa folle et jalouse passion— par Tiriddu qui, pourtant tente de l’apaiser, exprime ses regrets à l’époux avant le duel et la commet aux soins de sa mère. La fin de son air « Voi lo sapete, o mamma… », amène en un crescendo terrible, le paroxysme de la jalousie qui en deviendra meurtrière : « Lola et Turiddu s’amanno… e io piango », ‘Lola et Turiddu s’aiment…et je pleure. » C’est la musique, certes, c’est l’orchestre de Carella, bien sûr, mais c’est cette voix dont la chair déchirée arrive à nous et nous bouleverse.

Pagliacci


Le décor unique, on le retrouve et semble rétrospectivement, expliquer le premier : cet amas rocheux est devenu, parsemé de taches de couleurs de vêtements jetés, l’immonde décharge urbaine d’un monde sans urbanité où des êtres, rebut de la société, loqueteux, souffreteux, souillés, fouillent inlassablement pour en extraire de quoi subsister : univers de migrants ? Mais triste couleur locale, marges innommables des villes de notre temps. C’est saisissant, guère réjouissant malgré la joie affectée, surlignée, de la troupe de comédiens ambulants, autre ambulance de la misère humaine, qui vient pour divertir ce peuple, même pas lumpen proletariat, par la Commedia del Arte et ses archétypes cent fois repris : Paillasse, le mari cocu aux yeux de tous par la jolie épouse légère, Colombine, qui fricote avec Arlequin. Version théâtre, rire assuré. Version vie, rien de rassurant, c’est le drame, larmes et sang de l’adultère.

Le personnage du Prologue, comme un Monsieur Loyal de cirque, présente dans une sorte de grand récit, récitatif accompagné à l’orchestre, le manifeste de l’opéra vériste. C’est un morceau d’anthologie d’une grande beauté musicale que Carlos Almaguer, à son meilleur, détaille avec l’amertume requise mais une grande splendeur vocale, en détaillant intelligemment les phrases. Il sera aussi, avec beaucoup de vérité, le tordu, le tortueux Tonio, ver de terre amoureux d’une étoile, à l’échelle dérisoire de cette misérable troupe, le vindicatif délateur de l’adultère, Iago de petite dimension mais de résultat sanglant égal. En Beppe et Arlecchino frissonnant, tremblant comme l’épouvantail du Magicien d’Oz dont il semble porter le chapeau, le ténor Giuseppe Tommaso déploie une séduisante voix dans la sérénade. À l’autre ténor, Silvio, l’amant de Nedda, et victime comme elle de la jalousie de l’époux, Charles Rice prête une belle silhouette et beaucoup de charme. 

Objet du délit, délices interdites, Nedda, c’est encore Anna Kasyan : sa voix frissonnante, charnue, fait passer la crainte de son brutal époux et, avec comme des battements d’ailes, l’émerveillement du vol des oiseaux libres : c’est un ravissement, une Colombine joueuse, joyeuse, léger moineau ivre d’un autre destin, rattrapée par le drame terrestre, rocheux. La jolie idée, c'est de faire des personnages sur le tréteau des marionnettes à la sicilienne, manipulées par des ficelles, d'abord dans la parade, puis effective dans le jeu qui devient dangereux à devenir vrai : c'est aussi une intelligente mise en abîme du théâtre dans le théâtre, qui souligne l'idée de génie de Leoncavallo, avec même les phrases de la vie réentendues et réinterprétées en vrai par le mari berné sur scène et en coulisses.



En Canio/Paillasse, Badri Maisuradze, impose une stature impressionnante, massive, qui justifie, à vue d’œil, la crainte avouée de l’épouse. La voix est puissante peut-être trop uniforme dans l’émission en force. Cependant avec son air célèbre, « Ridi, Pagliaccio… », ‘Ris, ris Paillasse’, il nous tire, sinon des sanglots, des larmes : effet effusif du vérisme bien chanté et admirablement dirigé ici avec toutes les variations de  genres, clins d'œil baroques primesautiers, de couleurs, de tons, de tonalités de cette musique si nuancée. Encore une fois, beaux chœur et maîtrise. 
On regrettera, comme une grande perte, la disparition des livrets, toujours si finement documentés et agréablement présentés, de l'Opéra de Toulon. Un mécène ne pourrait-il sponsoriser cette utile introduction aux œuvres pour les spectateurs non spécialistes?

Direction musicale : Giuliano Carella
Mise en scène : Paul-Emile Fourny, réalisée par Sylvie Laligne. Décors : Benito Leonori. Costumes : Giovanna Fiorentini. Lumières : Patrick Méeüs, assisté de Brice Bouviala.

CAVALLERIA RUSTICANA
Santuzza : Deniz Yetim ;Mamma Lucia Marie-Ange Todorovitch ; Lola : Anna Kasyan.
Turridu :  Lorenzo Decaro ; Alfio : Carlos Almaguer.

PAGLIACCI
Dramma en deux actes de Ruggiero Leoncavallo
Nedda (Colombina) : Anna Kasyan.
Canio (Pagliaccio) : Badri Maisuradze ; Tonio (Taddeo) : Carlos Almaguer ; Silvio : Charles Rice ; Beppe (Arlecchino) : Giuseppe Tommaso.
Orchestre, chœur et maîtrise de l’Opéra de Toulon
Coproduction Opéra de Toulon, Opéra-Théâtre-Metz-Métropole.

Un incident technique à Paris ayant rendu impossible ta transmission en direct de la première du 4 octobre sur Radio Classique, c’est en différé le 5 qu’aura lieu la diffusion de ces deux opéras.

Photos : © Frédéric Stéphan :
Cavalleria rusticana
1. D'avance image de l'humaine douleur, la Mère ( Todorovitch) ;
2.  dans sa solitude, Santa, marginalisée (Yetim) ;
3. Affrontement des amants (Yetim, Decaro );
4. L'aveu à l'époux trahi (Almaguer, Yetim) ;
5. Proche duel au crépuscule (Almaguer, Decaro et témoins).

Pagliacci
1. Décharge humaine et vain divertissement (Maisuradze, Kasyan, Tommaso) ;
2. Colombine et Arlequin (Kasyan, Tommaso) ;
3. Le théâtre ;
4. La vengeance de l'époux ( (Maisuradze, Kasyan).



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