Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

lundi, décembre 29, 2014

UN AMOUR D'ÉLIXIR



L'ELISIR D’AMORE (1832)
Opéra en deux actes
de Gaetano Donizetti
livret de Felice Romani, d’après Le Philtre (1831) d’Eugène Scribe, musique de Daniel-François-Esprit Auber 
Opéra de Marseille, 23 décembre 2014

    Pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Marseille présente L’elisir d’amore, ‘L’elixir d’amour ‘ de Gaetano Donizetti, les 23, 27 et 31 décembre 2014 à 20 heures et les 2 et 4 janvier 2015 à 14h30. Ce melodramma giocoso, ‘mélodrame joyeux’ (melodramma, en italien signifie un drame, une ‘pièce en musique’ et c’est ainsi que Mozart appelait ses Cosí fan tutte et Don Giovanni). C’est-à-dire que les situations y sont d’essence dramatique, cruelle, un dépit et un rejet amoureux en l’occurrence, mais traitées, sinon sur un mode exactement bouffe comme Rossini, sur un ton humoristique plutôt que franchement comique.


L’œuvre 
      Créé en 1832 à Milan, c’est un opéra en deux actes sur un livret en italien de Felice Romani, lui-même fidèlement tiré de celui d’Eugène Scribe pour Le Philtre (1831) de Daniel-François-Esprit Auber que notre Opéra a eu la bonne idée de présenter  au préalable dans le foyer, accompagné au piano, interprété par de jeunes chanteurs. Histoire simple, simpliste d’un jeune paysan pauvre, inculte, aimant au-dessus de ses moyens, une belle et riche propriétaire cultivée, indifférente et cruelle, sadique même. Désespérant de se faire entendre et aimer, il cherchera le secours d’un philtre d’amour offert par un charlatan, avec la péripétie d’un sergent paradant, bellâtre, cruellement érigé en rival par la cruelle jolie femme.


     Style formulaire, technique de la rapidité
    Comme dans ces production d’opéras que l’on dirait aujourd’hui industrielles, écrits rapidement pour satisfaire une grande demande comme au siècle précédent, un peu comme les films aujourd’hui, cherchant la rentabilité avec un minimum de frais, l’œuvre utilise toutes les ressources du style formulaire permettant une écriture rapide, musicalement et verbalement.

    On y trouve ainsi tout le répertoire des clichés, formules, aux rimes près, qui sont le fond de l’opera buffa depuis ses débuts au XVIIIe siècle, qui traversent même les textes de da Ponte pour Mozart, jusqu’à l’obligatoire air de liste chanté à toute vélocité qui existe bien avant le catalogue de Leporello et bien après lui, ici dévolu, naturellement, au personnage bouffe de Dulcamara au débit vertigineux débitant les mérites mirobolants de son  mirifique « odontalgique,  sympathique, prolifique », etc. De la même façon, la musique utilise les recettes bien éprouvées, la découpe des airs avec cabalette après intervention du chœur, cadences virtuoses, ornements, passages d’agilité pour tous, codifiés depuis longtemps dans le genre, sublimés par Rossini. L’orchestration, l’instrumentation, entre aussi dans la typologie adaptée du genre adressé à un public qui ne cherche pas la surprise, la rupture, le renouveau, mais la reconnaissance  de situations, de types et d’épreuves lyriques obligées où les chanteurs devront faire leurs preuves. La surprise viendra cependant d’un air, « Una furtiva lagrima », qui dérogeant à ces codes par sa poésie élégiaque et sa douceur humaine humanise l’inhumanité cruelle des types bouffes, infraction au genre qui en assure sans doute la pérennité.
    Par ailleurs, la version italienne du Philtre, l’elisir, se glisse dans la typologie, les stéréotypes des situation, duperies, méprises et personnages de la Commedia dell’Arte : le jeune amoureux timide, la jolie coquette, le soldat matamore et le charlatan de foire. Peu de personnages donc, aux voix codifiées, Adina, riche et belle fermière, naturellement soprano, Nemorino dont le nom même exprime le sentiment, l’amoureux, jeune paysan pauvre, et le baryton, le trouble-fête de ces amours, le sergent Belcore, nom aussi étiquetant sa fonction de galant, le sergent ‘Jolicœur’. On trouve aussi le deus ex machina involontaire de l’action, le docteur Dulcamara,  qui veut dire ‘Doux amer’, le charlatan vendeur et doreur de pilules ou philtres d’amour magiques pour se faire aimer, une basse bouffe dans la tradition rossinienne et, enfin, inévitablement, une deuxième soprano Giannetta, jeune paysanne, faire valoir de la première, et qui apportera une information capitale qui renverse la situation : l’héritage du jeune homme le rend digne, socialement, de sa belle.

    Donizetti, cependant, prête à ses personnages, du moins au couple de jeunes premiers, une certaine densité, essentiellement à l’amoureux transi, cruellement éconduit par la belle, elle, dans la tradition de la Belle Dame sans merci, peut-être amoureuse à la fin par dépit ou intérêt (si elle a appris en coulisses son héritage) : la déception, la rivalité amoureuses, les malentendus, la rupture entre les amoureux, frôlent fatalement un drame, évité de justesse, et prêtent un ton doux amer à l’histoire, qui finit heureusement bien. Mais on n’est pas forcé d’y croire.

Réalisation
    Le sujet portant sur des situations archétypales et des sentiments généraux, la transposition du XVIIIe aux débuts du XXe siècle par la mise en  scène d’Arnaud Bernard ne gêne pas. Il y a une cohérence esthétique dans les costumes (William Orlandi qui signe aussi l’astucieuse scénographie) en camaïeux de beige et greige foncé des gilets sur chemises et pantalons clairs, casquettes et melons pour les hommes, des touches blanc et noir, robes d’époque déjà sans carcan de corset excessif pour les dames en canotiers et autres jolis bibis pour les bourgeoises dans un monde apparemment plus citadin que rural. Cela joue joliment pour des fonds de paysages bistres, ou sépia dégradés en lavis délicats, dont on comprend, grâce à des panneaux coulissants créant divers espaces, larges ou confidentiels, avec la mise en abyme de l’appareil de Dulcamara également photographe avisé vendant sa camelote et ses clichés, que nous sommes dans une chambre photographique, par l’objectif final duquel il disparaîtra à la fin dans un effet grossi de cinéma muet.


Paradis perdu de la Belle Époque 
    C’est le temps de l’Art Nouveau, Modern style, Jugenstil, Modernismo ou Liberty selon le pays, l’aube d’un siècle où tout paraît encore nouveau, jeune, printanier, libre, bref, moderne, avec le progrès au service de l’homme : la bicyclette pour la femme presque émancipée, sinon amazone, cycliste, l’automobile, le téléphone, la photographie déjà assurée et le cinéma balbutiant, la pub industrielle débutante, bref, la Belle Époque qui ne paraîtra telle que rétrospectivement après l’atroce Grande Guerre à venir qui va mettre toute cette science optimiste —et la faire avancer— dans l’horreur de 14-18. Certes, sans que cela soit l’objectif de cette mise en scène datant de plus de dix ans, en cette année de commémoration du centenaire de la première Guerre mondiale, cela prend une résonance nouvelle de voir une joyeuse société inconsciente, au bord du gouffre, assurée d’un progrès qui va vite se tourner, sans qu’elle s’en doute, contre elle.

Interprétation 

    L’idée centrale de la photographie se traduit en magnifiques compositions picturales de groupes, dans une époque où, justement la photographie prétendait rivaliser avec la peinture, ou ne s’en était pas émancipée, avec des fonds artificiels, dans des ovales de cartes postales des plus esthétiques, aux couleurs fanées nimbées de nostalgique douceur par les délicates lumières de Patrick Méeüs. Le négatif du cliché, c’est que, prenant la pose, naturellement longue à l’époque où n’existe pas l’instantané, les « arrêts sur image », surexposent le jeu, imposent une rupture de l’action qui contrarie quelque peu la vive dynamique de la musique nerveuse de Donzetti, menée tambour battant par Roberto Rizzi-Brignoli à la tête de l’Orchestre de l’Opéra tonifié comme par l’élixir de jouvence et d’amour, sans ralentir le tempo, faisant pétiller, crépiter le feu de cette orchestration certes légère mais toujours allègrement adéquate au sujet.
     Les chœurs, comme toujours parfaitement préparés par Pierre Iodice, entrent harmonieusement autant dans la partie du jeu que dans la partition, en partenaires égaux des acteurs chanteurs.
    Il suffit de quelques mesures pour que Jennifer Michel nous abreuve de la source fraîche de son timbre, en Giannetta qui ne s’en laisse pas compter. En Dulcamara, Paolo Bordogna, sans avoir forcément la noirceur, est la basse bouffe parfaite, déployant une éblouissante agilité de camelot dans son air de propagande, premier nom de la pub, étourdissant de verbe et de verve, doublé d’un acteur de premier ordre, comme tiré d’une comédie italienne, de la Commedia dell’ Arte, endossant avec naturel le costume d’un Paillasse mâtiné d’Arlequin par sa dextérité sidérante auquel un acteur, Alessandro Mor donne une muette réplique de compère et complice. Entrée en fanfare du fanfaron effronté et sa forfanterie, le fringant Belcore : si on ne l’avait vu dans d’autres rôles, on croirait qu’il est taillé pour le baryton Armando Noguera qui se taille un succès en endossant avec panache (de coq cocorico) l’uniforme du versicolore et matamore sergent, roulant des mécaniques et les r des roulades et roucoulades frissonnantes de fièvre et d’amour, à l’adresse d’Adina et de toutes les femmes, joli cœur à aimer toute la terre comme un Don Juan à l’échelle villageoise : irrésistible, se riant des vocalises en nous faisant rire.

   Adina, mutine, primesautière, dansante et virevoltante, c’est Inva Mula, qui, capable de rôles bien plus lourds, démontre sa technique, sa maîtrise merveilleuse du bel canto, le chant orné, dans sa plus périlleuse et voluptueuse expression : sur une échelle, à bicyclette, sur le toit tanguant de l’auto, elle chante, vocalise de façon tout aussi acrobatique, avec un naturel confondant. Sa voix est si ronde, si mielleuse, si douce, qu’on a du mal à croire à la cruauté envers Nemorino du rôle, à moins que la rudesse de ses paroles ne le soit davantage par la douceur innocente de la voix. Nemorino, c’est une révélation : le jeune ténor, Paolo Fanale, campe avec vraisemblance un paysan rustaud, pataud, costaud, touchant par sa faiblesse amoureuse dans la force de ce corps, sa naïveté qui le fait la dupe rêvée de Dulcamara, obsédé et dépassé par cette femme d’un autre rang, voix large et pleine, au solide médium bronzé dont on se demande même comment il abordera la légèreté poignante de son fameux air. Et c’est un miracle de finesse, de douceur déchirée et d’espoir qu’il met dans « Una furtiva lagrima », qui manque nous en arracher, par ces sons en demi-teinte, pastel, ce passage de la voix de poitrine à la voix mixte, jouant, sans jeu, mais avec une émouvante vérité, avec le fausset. Par ce seul air, la bouffonnerie ambiante verse dans l’humanité : sous le rire, il y avait les larmes d’une âme blessée. La salle, mais aussi ses partenaires, bouleversés, lui rendent un juste hommage.

L’elisir d’amore de Gaetano Donizetti,
 Opéra de Marseille,
23, 27, 31 décembre 2014, 2, 4 janvier 2015.

Chœur et Orchestre de l’Opéra de Marseille.
Direction musicale de Roberto Rizzi Brignoli ;
Mise en scène d’Arnaud Bernard réalisée par Stefano Trespidi ; décors et costumes de William Orlandi ; lumières de Patrick Méeüs.
Distribution :
Adina : Inva Mula ; Giannetta : Jennifer Michel ; Nemorino : Paolo Fanale ; Belcore : Armando Noguera ; Dulcamara : Paolo Bordogna ;
Assistant Dulcamara : Alessandro Mor.

Photos : Christian Dresse
1. Adina (Inva Mula) fait la lecture du philtre d'Yseult;
2. Adina éconduit Nemorino (Paolo Fanale);
3. On prend la pose! ;
4. Début de la pub : Dulcamara (Paolo Bordogna) vante son élixir ;
5 Le téléphone : Belcore (Armando Noguera), entouré à gauche  d'Alessandro Mor, à droite, de Jennifer Michel ;
6. Matamore triomphant ;
7. Pose et posture.

samedi, décembre 13, 2014

Les Musiciens et la Grande Guerre, vol IV


Enregistrement 21/11/2014, passage, semaine du 8/12/2014
(lundi, 10h45, 17h45, samedi, 12h45)
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 153

Mélodies, Prescience, Conscience
Marc Mauillon (Baryton), Anne Le Bozec (piano). Mélodies de Halphen, Février, Hahn, Fauré, Kelly, Ravel, Jürgens, Butterworth, Farrar, Dawaere, Stephan, Schulhoff. Disque Hortus .

    Le 14 juillet de cette année, symboliquement, pour commémorer le centenaire de la Grande Guerre, de l’atroce guerre de 14-18 (toutes le sont mais celle-ci en est monstrueusement exemplaire par son ampleur mondiale) j’avais parlé des trois premiers CD de cette extraordinaire collection des éditions Hortus : Les Musiciens et la Grande Guerre. Trente enregistrements prévus jusqu’en 2018, centenaire de l’Armistice. Cette gigantesque anthologie se donne pour but généreux et ambitieux, de faire découvrir ou redécouvrir l’univers sonore des compositeurs, interprètes et musiciens ayant vécu et subi cette guerre, mobilisés, immobilisés dans leur œuvre, souvent blessés, souvent tués, exécuté expéditivement comme l’héroïque Albéric Magnard, ou même, restés hors du front à cause de leur âge, de leur faiblesse constitutive comme Ravel, ambulancier malheureux, ou de leur maladie, comme Debussy, qu’on appelait alors, Claude de France, dans un nationalisme inévitable quand la patrie est en danger, mais nationalisme, hélas, généralisé aux nations, qui amena cette catastrophe mondiale. Ravel, Debussy, Hahn, entre autres, deux compositeurs, dirai-je bleu horizon comme les seconds uniformes des soldats français, les premiers ayant ces pantalons rouge garance si catastrophiquement visibles aux yeux de l’ennemi.

     Mais cette dernière livraison élargit justement l’horizon, et, passant les odieuses frontières, prétextes aux revendications territoriales meurtrières, nous offre un bref panorama de compositeurs certes alliés français, anglais, australiens, mais aussi allemands, qui ont pressenti ou senti la catastrophe qui s’est abattue aussi sur eux, alors qu’ils étaient tous liés par la fraternité universelle de la musique, même sans se connaître. Mais la guerre se déclare (et par qui et pourquoi ?) et l’on devient l’ennemi officiel de celui qui est du mauvais côté de la frontière. Et réciproquement.
     Au-delà de la qualité ou non des œuvres présentées, de la qualité de l’interprétation, de la pertinence ou non des choix (comment se sont-ils faits ?), c’est d’abord cette réflexion que m’inspire cette quatrième livraison consacrées à des mélodies, des « songs », des « lieder », termes synonymes et frères, en français, anglais ou allemand : la voix est l’instrument humain par excellence, c’est l’homme même. Et il faut convenir que la voix du baryton Marc Mauillon, légère, son interprétation directe, sans emphase, fraîche et parfois naïve, avec la complicité pour le meilleur de la pianiste Anne Le Bozec, donne une troublante humanité, fragile et d’autant plus précieuse, à ces airs joyeux ou mélancoliques ou traversés d’angoisse, prescience de la tragédie qui approche, ou conscience qu’elle est survenue, dans le contexte musical d’avant, pendant ou après la guerre. Pour nous, qui savons le contexte, c’est la jolie fleur au bord de l’abîme, c’est la bouleversante fleur poussant sur les ruines, comme une affirmation de la vie dans le champ de la mort.
      À l’écouter dans ce contexte, la mélodie d’Henry Février (plage 2), avec un bercement de barcarolle funèbre, prend une résonance tragique dans sa douceur et son titre prémonitoire, La Dernière chanson. Même si l’auteur du poème, Sully Prudhomme, mort en 1907, eut la chance de ne pas connaître la guerre de 14-18, même si le compositeur Henry Février (1875-1957), bien qu’ayant connu la bataille de Verdun, lui survécut, il écrivit des mélodies dans les tranchées. On aimerait connaître quand il composa celle-ci, dont le narrateur demande à la nourrice de l’enfance perdue, de lui chanter un air d’autrefois dans son agonie : c’est l’enfant dans l’homme qui pressent sa mort. Mais, finalement, peu importe la date de composition ici : nous sentons le pressentiment, prescience qui anticipe ou conscience présente de la guerre, de la mort, sa musique a des échos poignants avec des paroles telles que :

       « Vous qui m’aiderez dans mon agonie
        Ne me dites rien…
        Faites que j’entende un peu d’harmonie.
        Et je mourrai bien ! »

La musique, consolation suprême dans l’imminence de la mort. Et cette lucidité terrible, qui pourrait être celle de tant de jeunes hommes réellement sans futur dans ce fatal carnage où chacun attendait son tour :

      « …je suis d’un monde où l’on ne vit guère
       Plusieurs fois vingt ans… »

    Toute  l’horreur consciente de la fragilité de la vie dans la guerre est là, qui fauche les jeunes gens. Mais les morts ne vieillissent pas, le temps ne passent plus pour eux, tel le compositeur allemand Fritz Jürgens  fixé à jamais dans ses 27 ans, donc sans avoir connu deux fois 20 ans, par sa mort en 1915, en Champagne. Dans la tradition post-romantique allemande, ce  lied exprime une angoisse profonde. Malheureusement, faute plus grave que de ne pas mettre la date de composition des pièces des musiciens inconnus que l’on veut nous faire connaître, dans un CD qui veut faire parts égales entre les compositeurs belligérants, il n’y a pas de traduction des textes étrangers. Ainsi, je vous traduis personnellement, en gros,  le poème allemand, extrait des Balladen und Romanzen de Friedrich Hermann Frey (1839-1911) qui écrivait sous le pseudonyme de Martin Greif. Ce sont deux courts quatrains de Das Traue Paar  ‘Le couple fidèle’, fidèle jusque dans la mort, puisque, dans la nuit, ils « se sont noyés dans le Rhin et on a retrouvé leurs corps enlacés dans une terre étrangère ». 
    Noël approche, et, dans son rêve de paix, nous oublierons l’atroce Noël des enfants qui n’ont plus de maison, texte et musique de Debussy, qui s’il dit bien l’horreur subie par les orphelins, la redouble par les cris de vengeance qu’il prête aux enfants français contre les enfants allemands, qui ne sont, comme eux, que des victimes de la folie des hommes. On se réfugiera dans la joie de la paix chantée par Gabriel Fauré, lui pardonnant, à ce titre la platitude du texte, on n’ose dire poème, qu’on lui avait, il est vrai, imposé.  


AUTRES LIVRAISONS


vendredi, décembre 12, 2014

mercredi, décembre 10, 2014

BAOPÉRA


       
     Le vendredi 19 décembre, à 14h
au Foyer de l’Opéra, un concert des plus originaux va ouvrir des horizons sonores inouïs, au vrai sens du mot, jamais ouï, entendu : un concert pour Bao-Pao. Et c’est quoi le Bao-Pao? C’est un instrument à cordes laser mais il y aura également du violoncelle et …d’autres autres objets sonores non identifiés. C’est le résultat d’un magnifique projet, qu’il faut soutenir de toutes nos forces, joliment appelé BaOpéra. 
   Ce projet BaOpéra réunit des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, des élèves et des professeurs d’ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire), des collèges Henri Barnier à Marseille et Joseph d’Arbaud à Salon-de-Provence. Il y a eu trois journées d'ateliers, et musiciens et élèves ont travaillé ensemble autour de quelques airs d’opéra, mais pas seulement nous dit-on… Le résultat est un mélange musical étonnant, nous annonce-t-on encore ! et sans doute détonant au meilleur sens du mot. Projet réalisé dans le cadre du partenariat conclu entre la Ville de Marseille, son Opéra et le Conseil Général des Bouches-du-Rhône : magnifique inclusion de jeunes gens par la musique.

mardi, décembre 09, 2014

CONCERTS DE NOËL



ADA BONORA
POÈTE, PLASTICIENNE,
CANTATRICE

Exposition du 28 novembre au 20 décembre

Galerie 
Instants magiques

8, Rue Thubaneau
13001 Marseille

Récital le 20 décembre, 19h30

FORÊTS




Concert chant et harpe
le 20 décembre, 19h30

Ada Bonora, mezzo-soprano ; Mathilde Giraud, harpe

Programme 

Mélodies italiennes
Me voglio fa na casa- Donozettio nel core - Scarlatti
Vaga luna- Bellini
La Conocchia- Donizetti
Amore e morte- Donizetti
La lontananza- Donizetti

Mélodies populaires grecques de Ravel
Réveille-toi mignonne
Quel galant
Là-bas vers l’église

Mélodies anglaises
The Salley gardens
Bonny at morn
David of the white rock
Baroque Flamenco – D.H. Conant (harpe seule)

Mélodies judéo-espagnoles
Durme
Una pastora
Yo m’enamori d’un aire

Tarif : 10 €



CONCERTS DE NOËL


CONCERTS DE NOËL


Première Partie

Orgue : Noël X  (L. C. Daquin) ; 
"Mit Würd und Hoheit angetan" – La Création  (J. Haydn) ;
"Et misericordia", "Quia respexit" – Magnificat  (J. S. Bach) ; 
Angiol di pace ( V. Bellini );
Ave Maria (C. Gounod) ; 
Ave Maria  (Caccini) ;
Orgue : Rapsodie sur deux Noëls  (J. Langlais) ;
 Adeste Fideles ;
 Laudate Dominum ( W. A. Mozart) ;
 Panis angelicus  C. Franck) ;
 Ave Verum  (W. A. Mozart) ;
Minuit, Chrétien  (A. Adam ) ;
 Ave Maria  (F. SChubert) ;
 Orgue : Premier Noël « Votre bonté, Grand Dieu » (C. Balbastre).

★Deuxième Partie 
Pastre dei mountagno (traditionnel) ; 
Les anges dans nos campagnes (traditionnel) ;
Venez Divin Messie (traditionnel) ;
Entre le bœuf et l’âne gris (traditionnel) ;
Douce nuit -(traditionnel) ; 
Dans une étable obscure (Pretorius) ;
Douce nuit (traditionnel) ;
Jingle bells  (J. Pierpont) ;
White Christmas (I. Berlin) ;
We wish you a merry Christmas (traditionnel).
Réalisation : Christophe Guida
C

CONCERTS DE NOÊL


  1. LES FESTES D'ORPHÉE
  2. Ensemble baroque
  3. Musiques patrimoniales de la Provence historique 
  4. Directeur : Guy Laurent 
  5. XVIIIe saison

UN NOËL AVEC MARC-ANTOINE CHARPENTIER

Présentation illustrée le mardi 9, 18h30
par Guy Laurent

Concert

Mercredi 17 décembre à 20 h 30 / Temple de la rue de la Masse 
Aix-en-Provence

Tél. : 04 42 99 37 11

CONCERTS DE NOÊL


dimanche, décembre 07, 2014

TEMPÊTE AU BEAU FIXE


  
La Tempête
de Shakespeare,
Théâtre Toursky,
29 novembre
par la compagnie du CADO
 d’Orléans

L’œuvre 
      La fin des utopies
    1516 : Thomas More publie son Utopie, pleine des rêves de renouveau de la Renaissance. À Rotterdam, près d’Érasme, dans les Pays-Bas de Charles Quint, lui arrivent tous les récits des navigateurs sur des îles merveilleuses découvertes par l’Espagne. Dans une de ces îles, sans doute Cuba, mais pensé pour sa Grande-Bretagne, il situe le songe de sa société idéale : Christophe Colomb, marquait sur sa carte des îles qu’il croyait le Paradis terrestres, et, dans son sillage, les religieux espagnols rêvent de recréer aux Amériques l’idéal évangélique qui a échoué dans une Europe qui se déchire sur des conceptions antagoniques d’un même Dieu d’amour.  L’homme naturel n’y paraît pas encore contaminé par le péché : à Nouveau Monde, homme nouveau. C’est notre continent qui, par la découverte du nouveau, est devenu soudain le Vieux Monde, failli, en faillite.
    1611-1612 : Shakespeare, d’une nation enfin lancée dans les découvertes d’outre-mer, écrit sa Tempête : une contre-utopie, même s’il en reste des traces amèrement nostalgiques dans la bouche du bon Gonzalo qui conclut sa fameuse tirade  évoquant le sommet de l’utopie que fut le mythique Âge d’Or :

     « Je voudrais gouverner dans une telle perfection, seigneur, 
     que mon règne surpassât l'âge d'or. »

Emblème colonialiste
     À l’inverse de Prospéro, le Gonzalo naufragé rêve de gouverner un peuple innocent, comme le pensait le Montaigne des Cannibales. Mais un siècle est passé, les illusions aussi. L’homme nouveau n’est pas l’être pur imaginé, il est même anthropophage, et les hommes du Vieux Monde, sur les traces des premiers navigateurs hispaniques, spoliant et exportant leurs richesses, ont importé leurs vices. Les Espagnols sont passés, de l’enthousiasme de l’exploration, à l’exploitation ; et dans l’île allégorique de la Tempête, où, ancien duc de Milan déposé par son propre frère, règne la magicien Prospéro sur des esprits esclaves, l’un de la terre, l’autre de l’air, le fils de la sorcière et Ariel, on les voit même, de leurs possessions européennes de Milan et de Naples, duc usurpateur et roi complice escortés des conseillers machiavéliques du prince, implanter dans une île touchée aussi par le mal en la personne malheureuse de l’indigène diabolisé, y implanter leurs conspirations, leurs complots, jusque dans les personnages bouffes de Trinculo et de Stéfano. Quant à l’esclave, révolté contre le prospère Prospéro colonialiste, pour s’en libérer, tombe de mal en pis, se donnant de nouveaux maîtres, de nouvelles chaînes : Caliban, dénotant ou connotant le cannibale, dont le nom, dans la Cuba de la Révolution castriste, deviendra l’emblème revendiqué hautement par Roberto Fernández Retamar puis toute l’Amérique latine, d’une culture autochtone, « cannibale », nourries des autres, la culture métisse.
   Résolus les problèmes théologiques longuement débattus à Valladolid par les Espagnols sur l’âme des indigènes non christianisés au profit moderne de la rentabilité économique, emblème de la bonne conscience colonialiste, La Tempête apparaît, dans la personne du mage Prospéro, comme le triomphe cynique et tranquille du colonisateur : la domination et la spoliation contre l’alphabétisation.

La fin des thaumaturges
      Replacée de la sorte dans ce cadre historique, mais élevée à la dimension théologique, comme je l’ai également écrit[1], au sortir d’une Renaissance  qui commence à opposer Raison et Foi, annexant et érigeant même l’astrologie/astronomie en science naturelle pour lutter contre la prédestination protestante et la providence catholique et arracher l’homme au divin pour le rendre à la nature, La Tempête peut se lire comme la fin des thaumaturges qui, entre rationalisme renaissant et science balbutiante, sans rompre prudemment avec la religion, se sont dressés en rivaux humains d’un Dieu sourdement contesté, relégué, de sa septième sphère du géocentrisme, au fin fond d’un cosmos héliocentré découvert toujours plus vaste où il finit par se dissoudre ou se perdre. Adieu les Paracelse, Nostradamus et ce Faust séduisant déjà Marlowe. Pour l’heure, Prospero, qui distingue encore entre magie noire, celle de « a hideuse sorcière Sycorax » (Acte I, 2, v. 258) et la sienne, blanche, est un démiurge à l’image de Dieu, puisqu’il a le pouvoir de réveiller les morts (Acte V, 1, v. 48-50). Cependant, il ne s’oppose pas, comme Faust, à Dieu puisqu’il estime la magie un « art grossier » qu’il abjure à la fin, s’empressant de la rendre aux entrailles de la terre comme il engloutit dans les abysses le livre des charmes dès lors qu’il aura requis la « musique céleste » qui doit « plier les sens » ( Acte V, 1). C’est la même harmonie qui émerveille le jeune Ferdinand sauvé du naufrage, qui doute qu’elle soit humaine (Acte I, 2, v. 391), triomphe de l’esprit de l’air, céleste, sur la pesanteur matérielle de la terre, victoire de l’imagination, de l’art, sur la réalité brute et brutale.
    Les adieux de Prospéro à la magie, restauré comme temporel et terrestre duc de Milan, c’est le Shakespeare ultime renonçant aux sortilèges de la scène, mais reconnu souverain duc du théâtre du monde. 

 Réalisation et interprétation
       Sans chercher apparemment d’autre transcendance que celle du ciel des cintres et de la magie du théâtre, c’est cette vision que nous a offerte la belle réalisation du CADO d’Orléans dans l’efficace mise en scène de Christophe Lidon, qui participe aussi à l’adaptation (quelques coupures du texte et de personnages encombrants, suite de courtisans, moissonneurs,  esprits, nymphes et dieux) de Michael Sadler qui signe aussi la traduction.
    La simple mais habile scénographie de Catherine Bluwal évoque le théâtre de tréteaux baroque en convoquant tous les moyens modernes : un plateau circulaire tournant, dentelé d’une épure de rocs et de vagues, silhouette de l’île et crêtes de la mer, évite les temps morts et crée, comme par la grâce d’Ariel, qui le fait tourner, de rapides changements de décor et de scène. À la circularité du plateau mouvant répond le cercle changeant de la lune de la magie et de l’astronomie : rotondité de la terre contre celle de l’astre, répons analogique de la terre et du ciel, monde baroque composé d’opposés et, à voir ces formes rondes, orondes, l’on rêve au « théâtre du Globe » bâti et baptisé par Shakespeare.
    Les lumières fantasmagoriques ou rêveuses de Marie Hélène Pinon, zébrées d’éclairs de la tempête, les projections vidéo de Léonard, cieux changeants, orage de la rage de Prospero, visions plantureuses de repas, de trésors, et la musique, plutôt les sons étranges de Christophe Sechet (même si on regrette l’absence des jolies chansons d’Ariel), participent d’une réelle magie théâtrale dont on sait les artifices merveilleux qui nous rendent à notre esprit d’enfance, même avec ses délicieuses terreurs, comme ces créatures apparues, crochues, issues de quelque BD ou film de science fiction : magnifiques costumes de Chouchane Abello, manteau de Prospéro, belles robes de Miranda, Espagnols de Milan et Naples hautainement cuirassés et bottés, un Caliban monstre hybride d’écailles et un Ariel joliment sanglé dans un agile justaucorps gymnique ou galactique, brillant sans doute d’une obscure clarté qui tombe des étoiles. Seule concession, ou plutôt clin d’œil malicieux à la soi-disant modernisation déjà antique qui traîne dans tant de mises en scènes depuis cinquante ans, un uniforme moderne au tout début, de capitaine de navire contemporain, mais signe ici du théâtre dans le théâtre où nous sommes car les personnages de la pièce, les naufragés espagnols, en costume d’époque, font irruption de la salle réelle pour grimper sur la scène de l’illusion.
    Le tempo est vif, sans solution de continuité dans cette pièce baroque qui respecte, comme tant d’autres, dans la tradition aristotélicienne, bagage commun à l’époque, unité de lieu, l’île, et de temps, un jour, que seule la méconnaissance cocardière de certains raccorde abusivement à un théâtre français « régulier » qui ne s’imposera que trois ou quatre décennies plus tard.
       Le jeu des acteurs est remarquable de bout en bout, du début de la troupe aux comiques du troupeau : en sorte de clowns beckettiens mais sans rien de tragique, le Trinculo  de Denis Berner, le pleutre, le peureux, est d’une mobilité de visage et de gestes admirable et son pendant et pendard complice contrasté et maître Stéphano, est campé par un  Joël Demarty, ivrogne gueulard et gaillard magistral : un couple de Laurel et Hardy, mais agités et bouillonnants, un régal.  Ce dernier fera aussi un touchant Alonso, roi de Naples, bouleversé par la mort de son fils, du moins croit-on le reconnaître car, malheureusement, la distribution se contente de donner le nom de l’acteur jouant Prospero, les autres venant dans un injuste désordre pas facile à démêler. JeanMarie Lardy, le frère usurpateur, est un Antonio élégant, distillant le venin machiavélique de la conspiration au Sébastian plus rude et rugueux de Jacques Fontanel. Voix franche et vraie du bon et loyal Gonzalo, Jean-Loup Horwitz, est un impressionnant Gonzalo utopiste et généreux.
      Le couple de jeunes premiers, forcément convenu, est composé du Ferdinand, d’Adrien Melin à la douce voix juvénile et à la noblesse de gestes  et d’une Miranda, au rôle plus long à laquelle Sarah Biasini prête une jolie vivacité, une nervosité impatiente : le jeu d’échec entre les chastes fiancés devient une plaisante scène presque érotique où l’on sent que la chasteté est justement en échec quand sait comment l’esprit vient aux filles, prenant littéralement, le dessus corporel sur le mâle. 
     Le Caliban, qui n’est pas noir, antécédent violeur de la femme blanche du Monostatos de La Flûte enchantée, est Dominique Pinon, impressionnant, bouleversant : il feutre sa voix, feule, grasseye, éraille, éructe ses imprécations contre le colonisateur esclavagiste, gueule presque cassée de victime désignée de ceux dont dirait Gracián : « De rien ne sert d’avoir raison avec un visage qui a tort », délit de faciés, délit d’ethnie par sa mère, indigène, autochtone, propriétaire des lieux dépossédé par l’homme blanc. Parallèle aérien, tout aussi esclave mais promis à la liberté, révolté aussi mais soumis par nécessité dans ce jeu déjà hégélien du maître et de l’esclave, l’esprit des airs Ariel, autre Puck évanescent, c’est Maxime d’Aboville, physique de gamin, de sympathique sale gosse à la voix rauque de fumeur clandestin, entre la Guerre des Étoiles et Tintin dont il arbore la houppe ; il est étourdissant de grâce agile, bondissante, tournoyante, virevoltante, touchant et on croit rêver de l’avoir entendu en bouleversant curé de campagne de Bernanos.
      Alain Pralon, Sociétaire honoraire de la Comédie française est un Prospero magistral mais qui a d’emblée abdiqué la magie sinon celle du théâtre par son jeu riche en diverses nuances d’affect, paternel, patelin, menaçant, ironique, mais toujours décalé, par son prosaïsme humain, de la grandeur inhumaine du thaumaturge. Et c’est là sans doute, sans l’imputer à ce grand comédien qui joue le jeu du théâtre en montrant qu’il est là sans l’être totalement, personnage et non personne, le résultat du postulat de Lidon qui traite la pièce dans le divertissement, dans le pur théâtre. Cela est signifié par la belle scène de théâtre dans le théâtre des figurines  en ombres chinoises contre la paroi de la caverne, qui réfère, bien sûr à Platon, mais sans désir suffisamment théâtralisé de l’élever du physique humain à la métaphysique :

      « Nous sommes faits de l’étoffe des songes,
      Et notre infime vie est cernée de sommeil »

     On en reste donc, face à ce spectacle, dans l’éblouissement de Gonzalo qui dit l’ambiguïté du théâtre :

         «Je ne saurais jurer que cela soit ou ne soit pas réel».

     Mais ce manque de magie est surtout verbal. Pas de différence de langue, de rythme, dans cette adaptation, entre Caliban et Prospero dans leurs réciproques tirades insultantes. Shakespeare, dans sa pièce, passe de la prose aux vers, du pentamètre iambique à une grande diversité de mètres et de rythmes, qui font sens par rapport à qui s’exprime. Cette adaptation en prose, prosaïque donc, pèche par une uniformité de ton qui contrevient à l’esthétique baroque fondée sur la variété des trois registres rhétoriques, mêlant le style humble au sublime en passant par le moyen dans des effets de contraste permanent. Le grand reproche que l’on peut faire à cette approche c’est que, si elle respecte le sens, elle trahit le son, la langue : la poésie en somme.

Photo fournie par le théâtre :
 Caliban (Dominique Pinon) chevauchant la vague ou la falaise.




[1] Benito PELEGRÍN, Figurations de l’infini. L’âge baroque européen, Troisième partie, « Entre terre et ciel, le Baroque », ‘De Dieu le Père au Père-dieu’ ; ‘La fin des thaumaturges’, Editions du Seuil, 199, p. 389-399.

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