lundi, avril 29, 2013

AIDA


AIDA
Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi (1813-1901).
Livret italien d’Antonio Ghislanzoni  d’après Camille du Locle.
 Créé à l’Opéra Khédival du Caire, le 24 décembre 1871.

L’ŒUVRE
Sur commande du Khédive d’Égypte pour son opéra du Caire flambant neuf qui avait fêté l’ouverture du Canal de Suez en 1869 avec Rigoletto, Verdi compose un opéra « égyptien », Aïda, créé en 1871. Malgré la caution archéologique du grand égyptologue Mariette, directeur des collections égyptiennes du Louvre, le livret de Camille du Locle, directeur de l’Opéra-comique de Paris, est d’une plaisante invraisemblance de situations que sauve la musique de Verdi, qui ne ment humainement jamais.

En effet, un général égyptien, Radamès, dédaignant une aimante princesse promise au rang de Pharaon, Amnéris, pour l’amour d’une esclave éthiopienne, dont il ignore qu’elle est fille d’un roi prisonnier incognito, Aïda, ça ne court pas les pyramides. Et la fameuse « scène du Nil »? Aïda, surveillée par son père Amonasro, attend son amant, surveillé par la jalouse Amnéris, elle-même suivie du Grand Prêtre ; les plans de l’armée égyptienne imprudemment éventés par l’imprudent général aux oreilles avides du roi éthiopien qui laisse imprudemment éclater sa joie et son identité, bref, tout le monde se retrouvant, sans qu’on sache comment, au même endroit, au même moment, est un ressort digne des vaudevilles de l’époque (et de la tragédie classique française avec son anonyme hall où amis, ennemis, passent et repassent pour trépasser poliment en coulisses). Et que dire de la fin ? Radamès condamné pour trahison à être emmuré vivant, aura la surprise de retrouver Aïda dans sa tombe close. C’est du ressort mélodramatique et romanesque facile pour ce qui est de cette histoire, rejeté à des milliers d’années en arrière de la grande Histoire, mais ce qui ressort de l’humain est de toutes les époques, de tous les temps : l’âme et le cœur de l’homme n’ont pas de date.
En effet, sublimant ces extravagances des situations, la musique de Verdi, inventive de bout en bout, abandonnant les airs à coupe traditionnelle pour une déclamation plus souple et expressive, transcende tout et crée une vérité humaine indiscutable : sensualité de l’amour de Radamès, jalousie, révolte et pitié d’Amnéris, déchirements d’Aïda entre son amour pour le vainqueur et sa compassion envers ses frères de race vaincus, sa nostalgie d’exilée par force, arrachée par la violence de la guerre au pays natal et, enfin, sublime duo final, murmuré, d’adieu à la vie, à la terre, des amants condamnés, tendu par la déploration bouleversante d’Amnéris. C’est universel, banalement, cruellement et tendrement humain : amour entre le vainqueur et la belle esclave vaincue, passion et devoir du général, jalousie même envers une esclave, qui n’épargne pas les filles de pharaon, compassion et vengeance, nostalgie intemporelle des pays perdus des éternels déportés.

RÉALISATION
Rappel de Carmélites
Avec cette mise en scène signée Paul-Émile Fourny, venue de Nice, l’Opéra de Toulon offrait une approche scénique radicalement opposée à sa production maison précédente des Dialogues des carmélites de Poulenc proposée par le duo Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil : une tradition sans innovation pour Verdi et, là, une innovation qui veut tellement s’éloigner de la tradition qu’elle en dénature l’Histoire. Par ailleurs, éloignée sans doute d’une tradition historiciste pour ces Dialogues tellement ancrés dans la Révolution française, mais pesamment cimentée à cette autre tradition nouvelle, disons plutôt académisme contemporain, qui afflige les scènes depuis déjà un demi-siècle de « moderniser » les opéras comme si le spectateur n’était jamais assez intelligent pour voir ce qui nous concerne aujourd’hui dans une œuvre d’hier. Ramener ces carmélites de la Terreur à l’intolérance religieuse vaguement bolchevique, on ne voit pas le gain de sens pour un spectateur adulte qui n’ignore pas forcément l’Histoire contemporaine ni son Histoire nationale, alors qu’on brouille la chronologie pour un jeune « primo-arrivant » (pour parler en jargon moderne) qui voit « sa » Révolution tricolore et ses excès sanglants réduite à une anonyme couleur passe-muraille atemporelle des horreurs de tous temps. Ainsi, évacué le pathétique de l’Histoire et du sujet, la matière concrète (pourtant si thérésienne), malgré un chef de premier plan (Serge Baudo), une distribution à la hauteur (avec une Nadine Denize encore bouleversante), sans dénier l’ingéniosité de certaines trouvailles scéniques et techniques de ces Carmélites dans un Carmel réduit à des « installations » de pierres et des « white cubes » de vernissages « tendance », avec tous ces panneaux blancs mobiles et ces néons à la place de la guillotine, on eut le sentiment réfrigérant d’une technologie Ikéa pour production Findus : glacial.

Retour d’Aida
Excès inverse pour cette Aïda à laquelle il ne manquait aucun bouton de guêtre (si guêtre avaient les valeureux soldats égyptiens, encore qu’on a vu cela dans des modernisations colonialistes). C’est à la fois un opéra grandiose par le cadre antique égyptien colossal, les cérémonies religieuses et les scènes de plein air au bord du Nil. Mais c’est surtout, celle du défilé de la victoire des Égyptiens sur les Éthiopiens, misérable cohorte d’esclaves traînés derrière le char du général vainqueur. Avec les fameuses trompettes de la « marche triomphale », judicieusement placées dans des loges avec un bel effet stéréo. Cela fait un sacré défi sur un plateau relativement modeste et l’ambition décorative (Jean-Pierre Capeyron)  s’en trouve à l’étroit.
Le rideau de scène, portique d’entrée de temple et de programme, est beau. Il ne manque ni colonnes de temple ni somptueux costumes visiblement copiés de l’iconographie traditionnelle de l’égyptologie. La mise en scène grouille de détails bien venus : ouvriers s’affairant à décorer un chapiteau, le fameux « Scribe accroupi » comme témoin et scripteur forcément de l’Histoire, la Princesse examinant l’architecture, etc. Le hic, c’est que tout est neuf, trop neuf. Certes, ce le fut un jour et l’on a tort de n’imaginer l’antique que sous la douleur et couleur des ruines. Le problème, ici, c’est que la lumière impitoyable de Jacques Chatelet, trop crue, ne laisse rien ignorer même des coutures carton-pâte de la colonne flambant neuf. Un peu d’estompe lumineuse eût évité cette apparence de parade hollywoodienne pressée et compressée dans un plateau étroit mais trop vaste pourtant pour des scènes de foule sans grand monde.

INTERPRÉTATION
Les chanteurs semblent livrés à eux-mêmes. Vocalement, intime et monumentale.
Si le chef Alberto Hold-Garrido commence dans une atmosphère de rêve venu de loin, il presse soudain au forte et semble, au moins deux fois, couper le sifflet sinon le souffle aux chanteurs en les arrêtant dans la volupté de leurs aigus suprêmes pour en éviter sans doute les débordements, Radamès, écourté dans son contre ut de son air « Celeste Aida… » et cette dernière dans le la triple pianissimo final de son air du Nil. Lui, Radamès, solide ténor héroïque, c’est Carl Tanner, qui en a l’étoffe et l’envergure vocale, encore capable de nuances ; elle, Mardi Byers,  mal maquillée, a du mal à maquiller une voix qui a certes les notes mais ni le corps, ni la couleur, ni la solide étendue que requiert ce rôle. Certes, elle est bonne styliste, le timbre est joli mais d’ailleurs, ses nuances sont faciles mais trop graciles ici, trop simplement intimistes. Cependant, dans l’air magnifique du Nil, elle exprime avec une bouleversante détresse le sentiment d’exilée et le pressentiment de la perte irrémédiable de la patrie :

« Ô, ma patrie, je ne te reverrai plus jamais… Ô, ciel bleu, douce brise de mon pays natal… »


Monumental aussi par sa voix de stentor, le baryton Carlos Almaguer campe un Amonasro brut et brutal de campement guerrier. En Ramfis, Wojtek Smilek, est juste comme toujours, à sa place de basse noble sans trop de sons caverneux ; en Pharaon, Paolo Battaglia, affligé d’un problème vocal laisse néanmoins apprécier un beau timbre et Vincent Ordonneau est un messager sonore. Dans le rôle ingrat d’une prêtresse en coulisse, Aurélie Ligerot déploie un timbre bien séduisant. Cependant, la mezzo albanaise Enkelejda Shkosa est une Amnéris au beau volume égal entre grave et aigu, à la belle couleur, passionnée, et l’on devine que, mieux contrôlée dans son jeu qui confond action et agitation, elle eût été prodigieuse.
Bonne tenue des chœurs et jolie chorégraphie d’Érick Margouet pour cette Aïda peu céleste. Et l’on regrette que la mise en scène, qui fait d’un tombeau emmuré et étouffant une vaste prison à grille aérienne pour laisser voir Amnéris sur sa barque, secondée hélas par la lumière et la musique trop fortes, gâche la douceur murmurée du duo final d’adieu à la vie :

« Tout est fini pour nous sur la terre. Adieu à cette vallée de larmes… ».
 
AÏDA, Opéra de Toulon, 7, 9, 11 et 13 avril www.operadetoulon.fr – Billetterie 04 94 92 70 78
Orchestre, chœur et ballet de l’Opéra de Toulon
Direction musicale :  Alberto Hold-Garrido .
Mise en scène : Paul-Émile Fourny . Chorégraphie : Érick Margouet.  Décors et costumes : Jean-Pierre Capeyron. Lumières : Jacques Chatelet.
Distribution :

Aïda : Mardi Byers ; Amneris : Enkelejda Shkosa ; une prêtresse : Aurélie Ligerot ; le Roi d’Égypte : Paolo Battaglia ; Radamès : Carl Tanner ; Ramfis : Wojtek Smilek ; Amonasro : Carlos Almaguer ; un messager : Vincent Ordonneau.

Photos ©Frédéric Stéphan
1. Radamès et Aïda ; 
2. Amnéris et le haraon ;
3. Amnéris et ramfis ;
4. Les deux emmurés dans un tombeau bien aéré.

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