Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

mardi, mai 29, 2012

MOZART ET LE DON JUAN NOIR


PAR ALAIN AUBIN,  CONTRE-TÉNOR
ET
 JEAN-PAUL SERRA, PIANOFORTE
Théâtre Gyptis, 22 mai 20h30
         Sacré Alain Aubin! Avec une enviable carrière de soliste dans le répertoire des falsetistes graves, de la musique baroque à la musique contemporaine (on n’a pas oublié en 1998 Les Trois Sœurs, opéra d’après Anton Tchekhov, musique de Peter Eötvös ni ses créations avec Raoul Lay), notre homme de l’Estaque, infatigable animateur d’une chorale populaire au Panier, se frotte joyeusement et très librement à tous les genres, de Falla à Mahler : il se fait (et nous fait) plaisir, peu soucieux apparemment de s’exposer, de se mettre en danger.
         Ce soir, avec la complicité doucement souriante et concertante du grand claveciniste (et claviériste divers) Jean-Paul Serra de Baroques graffiti, soucieux également de croiser les genres et les styles, il se livre à un jeu de miroirs musicaux et épistolaires entre Mozart et le pas assez fameux aujourd’hui pour ce qu’il fut et fit Joseph de Bologne Chevalier de Saint-Georges (1739-1799).
         Mozart a vingt-deux ans et Saint-Georges trente-neuf en cette année de 1778 à Paris en ce Siècle des Lumières, plus ténébreux que ce qu’on croit. Wolfang, accompagné de sa mère qui mourra sur place, n’est plus le jeune prodige accueilli autrefois par la frivole aristocratie française, comme un petit singe savant exhibé en famille dans les salons parisiens et même à la cour. Conscient de son génie, de la supériorité, indubitable aujourd’hui, de sa musique sur toute celle de son temps, il s’impatiente, piaffe, vitupère en ses lettres contre la médiocrité musicale ambiante, contre les manques du chant français (« il urlo francese », ‘le hurlement français’, disaient les Italiens et Rousseau) et, ici, son amour-propre est blessé des succès de ce Chevalier Saint-Georges, compositeur à la mode, « le Voltaire de la musique », bretteur célèbre dans toute l’Europe (il eut un fameux combat d’escrime à Londres avec le (ou la) Chevalier d’Éon), maniant l’épée aussi bien que le violon, beau, séducteur, disputé par les femmes, mais « nègre »… Enfin, mulâtre. Fils, en effet,  d’une esclave raflée au Sénégal et d’un planteur noble de la Guadeloupe qui l’épousera (grandeur du Siècle des Lumières) qui donnera à son fils l’éducation la plus raffinée pour un aristocrate, dès dix ans à Paris. Mais malgré tous ses succès de chef d’orchestre à la tête de phalanges prestigieuses et de compositeur, même la non-conformiste Marie-Antoinette, dont il est maître de musique, ne parviendra pas à l’imposer à la tête de l’Académie royale de musique, justement à cause de sa tête (face noire du même Siècle, qui abolira puis restaurera l’esclavage…)
  Donc, passant de jardin à cour, d’un petit bureau à un autre, le pianoforte au milieu, de l’espace Mozart à celui de Saint-Georges, Aubin va croiser les lettres véridiques de Wolfang à son père Léopold et celles qu’il imagine joliment de Saint-Georges au sien, succès et chagrins aux diverses raisons des deux musiciens, alternant avec des airs vocaux de l’un et l’autre des deux compositeurs. C’est la même voix qu’il prête aux deux compositeurs, avec la chaleur de son accent d’ici alors que tant de gens d’ici prennent l’accent d’ailleurs. Vocalement, entre lieder de Mozart et romances de Saint-Georges, Alain en use avec une désinvolte liberté un peu confondante, peu orthodoxe, morceaux parfois trop graves, parfois trop aigus, avec les conséquences de soutien ou de sauts périlleux, sans grand souci d’homogénéité de timbre mais variant les couleurs, transcendant, par un charisme bon enfant, les difficultés techniques et stylistiques qu’il n’hésite pas à bousculer, se payant le luxe de nous donner Warnung, en beau baryton d’origine. Ses graves sont moelleux et ronds, d’une belle couleur « boisée », ses aigus, dans sa tessiture moyenne, légèrement posés.
On ne reviendra pas sur la beauté des lieder bien connus de Mozart, la couleur préromantique de Abendempfindung entre crépuscule fondant et douceur lunaire. La révélation, ce sont les romances de Saint-Georges, dans le goût du temps, plus simples, mais toutefois très belles et le musicien Aubin en a restitué parfois des accompagnements hâtifs que Serra détaille avec une virtuosité toute délicate. Avec la berceuse modulante, sur des paroles de sa mère, Dors mon enfant, tes cris me déchirent le cœur… Aubin nous bouleverse. Un extrait de l'opéra perdu, L’Ernestine, au livret de rien moins que de Choderlos de Laclos, l’auteur des sulfureuses Liaisons dangereuses, déçoit par le texte convenu mais ruisselle de ruisseaux harmoniques fort gracieux sous les doigts de Serra qui nous régale, simple et magistral, en plus ce cet attentif accompagnement complice et inventif, de deux sonates de Haydn, dont l’adagio de celle en si majeur qui annonce Schubert, avec ce pianoforte aux franches couleurs dorées dans les forte et mordorées dans les piani. L’Amant discret, dont on attend un« amour accompagné de mystère » est une romance au thème plaisant de cette époque libertine qui, en fait, préfère l’éclat et le scandale. Alain Aubin le redonne en bis pour couronner cette soirée originale et amicale. Plus affiné, ce spectacle d’une seule soirée, peut-être avec des clins d’œils à deux autres mulâtres extraordinaires, Dumas, qui écrivit un livre sur lui, et Pouchkine, fondateur de la littérature russe, sans oublier l’engagement du Chevalier dans la Révolution, mériterait de tourner.
         Il faut rappeler qu’Alain Guédé, chroniqueur au Canard Enchaîné et musicologue, s’est voué à rendre à Saint-Georges et à sa musique sa place. Non seulement il en écrivit sa biographie, Monsieur de Saint-Georges, le Nègre des Lumières (Actes Sud, 2000), mais le livret d’un opéra en deux actes sur sa vie, avec ses musiques, au même titre, donné à Avignon en octobre 2005.
Photos Max Minniti
        


jeudi, mai 24, 2012

OTELLO


Drame lyrique en quatre actes,
Livret d’Arrigo Boito, d’après Shakespeare
musique de Giuseppe Verdi (1887)
Opéra de Toulon,
15 mai 2012 
L’œuvre
On connaît la pièce de Shakespeare, inspirée d’une nouvelle italienne, le Maure de Venise, ce capitaine au service de la Sérénissime, fait gouverneur de Chypre pour ses victoires sur les Turcs menaçant la Méditerranées et les territoires vénitiens, époux d’une noble Vénitienne et la tuant par jalousie. Le génial librettiste et compositeur Arrigo Boito en tira un livret resserré et plus efficace dramatiquement ; Verdi, prétendument retiré jusque-là de l’opéra, l’auréola d’une musique qui en fit un chef-d’œuvre incontesté de l’art lyrique. Drame de la jalousie magistralement et machiavéliquement tissé fil à fil, fil d’un mouchoir et d’un rasoir par un « honest Iago », un apparemment honnête Iago pour des raisons de basse vengeance chez  le dramaturge (femme ancienne maîtresse du maître Othello et perte offensante d’une promotion), motivation plus sourde et sournoise chez le librettiste qui, à l’offense de la promotion manquée, ajoute surtout une dimension métaphysique, nihiliste, à ce personnage, génie grandiose du mal, dans un Credo terrible : le mal pour le mal de l’homme mauvais dans un monde mauvais, né dans la fange et destiné au néant. Crime sans châtiment d’un dieu cruel dont il est suivant et servant.
Moins sensible, mais perceptible à un bon metteur en scène, serait aussi la haine raciale : Othello, même christianisé, apparemment « assimilé », « intégré » dirions-nous aujourd’hui, est un Maure : c’est donc aussi le drame d’une insolite et impossible greffe entre deux cultures, deux mondes, deux classes, le mercenaire bronzé et la patricienne blonde, mariage par ailleurs inégal puisque, dans la pièce, il est plus âgé… Tous les ingrédients pour exacerber les malentendus jusqu’à la tragédie finale.
La réalisation
Hélas, ce n’est pas dans la mise en scène, ou plutôt plate et pâle régie de Giulio Ciabatti, à l’ancienne, qu’on peut trouver la moindre complexité ou profondeur. Il semble s’être contenté de faire entrer et sortir, encore avec beaucoup de maladresse, les personnages, exemple accablant, la dernière scène où tout le monde est debout, immobile, bras ballants, devant le cadavre de Desdémone et autour d’Otello, sans trop savoir que faire. Sans compter la saint-sulpicienne guirlande d’enfants avec roses et lis, pléonastique puisque le texte parle déjà de ces fleurs. Puis il y a l’emphase grandguignolesque de gestes ostentatoires ponctuant et surlignant les rideaux de fin d’acte : Iago bras levé, et sorte d’apothéose naïve de fond, descendant du ciel, sur le lit des époux morts.
Il reste que le décor, ce palais classique, gris, est beau, ce sol en miroir, avec quelques signes intéressants, le sextant, le sablier sur le bureau (servant à faire le point sur les navires), la belle cuirasse dorée, la robe de chambre en brocart noire et or , le lit de mort comme une mer (Pier Paolo Bisleri ). Les costumes de Chiara Barichello sont d’époque, somptueux, avec ce qu’il faut d’exotisme oriental pour cette colonie vénitienne de Chypre. C'est décoratif et chic. Lumières, on les cherche encore avec une lanterne en plein midi, excepté, les faciles éclairs et clairs-obscurs de la scène première de la tempête.
Interprétation
Fort heureusement, la fosse et les chanteurs compensent les manques de la scène qui ne peut leur être imputée. 
L’Orchestre et le chœur de l’Opéra de Toulon (Christophe Bernollin) sont au mieux pour servir la beauté de cette musique que la baguette, précise et souple, de Giuliano Carella transcende, enflamme sans jamais appuyer les effets, attentif à ciseler ces petits motifs cinglants, sanglants, poignants, ces couleurs instrumentales qui parsèment comme les reliefs du brocart la soie ou le velours d’une trame orchestrale nourrie où se fond le tissu vocal, dans une étoffe généreuse jamais déchirée, largement déployée.

La distribution est digne d’éloge des premiers aux derniers rôles qui n’ont que quelques interventions brèves : nuit du timbre de Nika Guliashvili, allure et noblesse grave de Frédéric Caton, souple clarté de Giorgio Trucco en Roderigo manipulé. Le quatuor central est exceptionnel : le Cassio de Stanislas de Barbeyrac justifie bien la jalousie d’Otello par l’allure, la figure, la voix ferme et lumineuse de jeune héros solaire béni des dieux malgré l’épisode noir ourdi par Iago pour le noircir, pion inconscient du rôle qu’il joue, de l’enjeu qu’il est, se tirant du drame en triomphateur comme un canard sur lequel glisse l’eau sans le mouiller. Certains spectateurs, s’attendant à ce qui est attendu, furent déçu de l’apparence de Falstaf rebondi du Iago d’Alberto Mastromarino. Pourtant, je trouve que ce physique apparemment jovial et même timoré de bon gros Michel Simon, inspirant confiance, rend encore plus sinistre sa machination comme une eau dormante, rassurante (« Honest Iago ») à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession. Mais il est de confession du Diable, son émule de maître. Sa voix est puissante, terrifiante, son air à boire en gammes descendantes est un ricanement sinistre. Quant à Otello, mince, râblé, hâlé ce qu’il faut, sombre, il est incarné avec justesse, grandeur et puissance, par Marius Vlad, voix tonnante quand il faut, aux arêtes de lame de couteau mais douce, nuancée, presque murmurée de torture dans d’autres. C’est un fauve blessé pathétique sans pathétisme exagéré.


Le rôle ne prête malheureusement pas à l’Emilia de Nona Javakhidze de déployer le velours d’un timbre de mezzo qui nous fait aussitôt regretter de ne point l’entendre davantage. Desdemona, déjà appréciée du temps du CNIPAL, c’est Hiromi Omura. La voix a généreusement mûri, élargie du grave à l’aigu, épanouie, le timbre déjà coloré, fruité, ouvre un bel éventail de couleurs, de nuances, avec des piani exquis et douloureux. Dans sa dernière et grande scène, la voix semble déjà embuée par ces larmes dont elle a le pressentiment oppressant. De l’inconscience insistante face à son jaloux d’époux pour la grâce de Cassio, elle passe, avec une grandissante noblesse, à la tragédie consentie de l’innocence face au bourreau, nous serrant la gorge d’émotion.
Photos :   ©Frédéric Stéphan
1. Lis et roses…
2. L'outrage public à Desdémone ; 
3. Lit de mer et de mort.

OTELLO de Verdi
Opéra de Toulon
11, 13, 15 mai 2012
Orchestre et chœur de l’Opéra de Toulon.
Direction musicale : Giuliano Carella
Mise en scène : Giulio Ciabatti ; décors : Pier Paolo Bisleri ; costumes : Chiara Barichello ; Lumières : Iuraj Saleri
Distribution :
Desdemona :   Hiromi Omura ; Emilia : Nona Javakhidze.
Otello : Marius Vlad ; Iago : Alberto Mastromarino ; Cassio : Stanislas de Barbeyrac ; Lodovico  : Frédéric Caton ; Roderigo : Giorgio Trucco ; Montano : Nika Guliashvili.
Production du Teatro Lirico « Giuseppe Verdi » de Trieste ;
Coproduction avec le Théâtre National Croate et le Festival de la Corogne.

jeudi, mai 17, 2012

XVII e FESTIVAL DES MUSIQUES SACRÉES DE MARSEILLE

Le XVII e Festival des Musiques sacrées de Marseille fondé par Madame Jeanine Imbert, Conseillère municipale déléguée à l’Opéra, au Conservatoire à Rayonnement Régional et à ce Festival de Musiques sacrées de Marseille, sous la direction artistique de Maurice Xiberras, directeur aussi de l’Opéra, en est à sa dix-septième année. Il se déroule du vendredi 11 mai au 7 juin.
C’est l’occasion, pour l’Orchestre philharmonique de l’Opéra de Marseille et le chœur, assisté du chœur PACA, de se mesurer à un autre répertoire, sous la direction de chefs prestigieux avec des solistes internationaux russes, moldaves, roumain, japonais, français.
Voici la programmation en l’église Saint-Michel :`
Le vendredi 11 mai, à 20h30, le fameux Stabat Mater de Rossini, suivi du rarissime Te Deum de Bizet, sous la direction musicale de Nader Abbassi.
Le vendredi suivant, le 18, concerts à la même heure, 20h30, une autre œuvre rarement donnée le Requiem de Donizetti, compositeur essentiellement joué pour ses célèbres opéras, sous la direction de Fabrizio Maria Carminati, cette fois avec le chœur PACA.
Le vendredi 25, original concert par le Richard Galliano sextet Bach qui nous jouera Bach à l’accordéon auréolé de cordes.
Le samedi 2 juin, on entendra, dans de la musique a cappella de la liturgie orthodoxe russe, le quatuor Konevetz de Saint-Petersbourg avec Oleg Kovalev, basse soliste.
Le jeudi 7 juin, après une première partie contemporaine avec les compositeurs Arvo Pärt et Benjamin Britten, il y aura, de Joseph Haydn, les magnifiques Sept dernières paroles du Christ en Croix, dont la terrible première : « Éli, Éli, lema sabachtani? », c'est-à-dire, « Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». C’est le comédien bien connu Robin Renucci qui en sera le récitant et Claire Gibault dirigera l’orchestre.
Dans les églises de quartier, c’est le Conservatoire National à Rayonnement Régional de Marseille qui sera à l’honneur, sous la direction de Philip Bride, pour offrir au public « Les plus beaux airs sacrés" tirés d'extraits de requiems.
Le prix en est modique : 11 € pour les concerts à Saint-Michel (Réservations à l’Opéra, tél.  : 04 91 55 11 10), les autres étant gratuits pour la ravissante Petite messe solennelle de Gioacchino Rossini dans les églises de quartier, des Olives (22 mai, 16h), de Saint-André (le 24), du Roucas-Blanc (31 mai), de Saint-Barnabé (5 juin), à 20h30 et, pour Un grand requiem dans celles d’Endoume (le 16 mai), Saint-Marguerite (le 21 mai),  Sacré-Chœur (6 juin), à 20h30 mais 19h30 pour celle de Saint-Just (4 juin).

FESTES D’ORPHÉE
  Les Festes d’Orphée ont aussi leur festival de musique sacrée.Cet semble aixois dirigé par Guy Laurent, poursuivant son travail minutieux de résurrection de la musique provençale ancienne, des XVII e et XVIII e siècle, pour son 25e anniversaires, vient de sortir son quatrième volume  de sa collection « Les Maîtres baroques de Provence ». (ci-joint, quelques autres disques) Magnifique travail de recherche dans des bibliothèques, des églises, des cathédrales, qui ont permis de réveiller ou de sauver des trésors de partitions enfouies sous la poussière du temps et de l’oubli.
Ce disque précieux nous offre des œuvres de Jean-Baptise Vallière (1715-1790), aixois,  de Pierre Gautier, dit «Gautier  de Marseille » (1642-1697), quatre motets de Félicien David (1810-1876), le créateur de ce qu’on appellera l’Orientalisme musical. Belle place accordée à Jean Audiffren (1680-1762). Bien que né à Barjols, il passe, avec Laurent Bellissen, pour le grand compositeur marseillais de son temps. Il exerçait à la vieille cathédrale de la Major ; il était responsable de la maîtrise, sous l’autorité de Monseigneur Belsunce (1670-1755), dont la statue orne le devant de la nouvelle major, de son nom complet Henri-François-Xavier de Belsunce, de Castelmoron, évêque de Marseille. Ce prélat s’illustra lors de la terrible peste de Marseille de 1720 qui décima la ville et la région, en secourant inlassablement les malades. Ce disque offre la particularité d’avoir enregistré l’oraison funèbre que lui consacra à sa mort  Alexandre Lanfant, un jésuite, confesseur de Louis XVI : c’est un morceau typique de rhétorique grandiloquente plus que grandiose, rendue en prononciation baroque restituée (mais par qui déclame ?) qui pourrait étonner et faire sourire ceux qui n’ont pas l’oreille faite à la langue française ancienne où toute lettre se prononçait, rendant facile l’orthographe. Un très beau disque à mettre à l’actif des Festes d’Orphée.

SACRÉ, CONSACRÉ
Mais, avant de tenter de définir ce qu’il en est de la musique, on peut s’interroger sur le mot de sacré. C’est d’abord le contraire de profane, terme qui qualifie ce qui n’appartient pas à la religion. Est donc sacré ce qui est objet d’un culte, digne de vénération par son caractère divin ou sa relation à la divinité. Evidemment, encore faut-il s’entendre sur ce que l’on entend par divin : on s’aperçoit vite que notre époque, dans une confusion du profane et du sacré, est prodigue en enflure des mots, en inflation des valeurs (surtout marchandes) et il apparaît vite que la célébrité médiatique est ce qui donne nom, renom, ce qui sacre et consacre, inspirant respect, vénération, culte. Voilà les sportifs, déjà passés au rang de héros, devenus dieux du stade, tout comme les stars, les étoiles du ciel du cinéma, ou le divo ou la diva de l’opéra, qui signifient ‘dieu, déesse’.
Pour souligner sa prédilection, sa vénération profane pour une chose,  une œuvre d’art, on parle aujourd’hui de livre culte, de film culte, de chanson culte, etc. À voir donc où va se nicher le culte, on peut conclure sans peine, mais non sans dommage, que notre époque a sans doute perdu le sens du sacré pour le remplacer par celui du « consacré ». Consacré par la réputation, la célébrité sinon l’usage.

MUSIQUES SACRÉES
Les musiques sacrées, il ne faut pas les confondre avec les musiques strictement religieuses. La musique religieuse, liturgique, rituelle, cultuelle, est au service du culte, du rite, de la liturgie. Elle est exécutée par des religieux, reprise souvent par les fidèles, à l’intérieur d’un édifice religieux, mais aussi à l’extérieur parfois, dans les processions par exemple.
L’expression musique sacrée en Occident, désigne des formes, des genres musicaux consacrés par l’usage, qui peuvent accompagner le culte, les pratiques religieuses : les messes musicales suivent le déroulé du cérémonial de la messe religieuse ; le Stabat mater prend son nom du début du célèbre poème de Jacopone da Todi : « Stabat mater dolorosa juxta crucem… » (‘la mère douloureuse était près de la Croix…’) tout comme le Requiem, qui est le premier mot de la messe des défunts, Missa defunctorum  : « Requiem æternam dona ei [eis], Domine… » (‘Seigneur, donne-lui [donne-leur] le repos éternel’).
La musique sacrée est souvent commandée à de grands compositeurs, qui utilisent des textes liturgiques. Elle est jouée aussi bien dans des églises que dans des salles de concert, des opéras.
La musique sacrée n’implique nullement la foi strictement religieuse des compositeurs : si la piété et la foi de Bach, cantor de Saint-Thomas, ne font aucun doute, Mozart, tout franc-maçon qu’il fût, a écrit une Messe en ut mineur et un Requiem sublimes, des airs comme Exultate, jubilate, dont tout le monde connaît au moins le célèbre Alleluia ; et Verdi, un Requiem pour son défunt ami Alessandro Manzoni. Son Requiem respecte la liturgie catholique, mais passe pour un opéra en « habits ecclésiastiques », vite passé de l’église de sa première exécution aux salles d’opéras du monde entier. La flamme de ces grands musiciens, croyants ou non, n’est donc pas toujours forcément religieuse au départ mais ils sont au fond les grands prêtres d’une religion de la musique au service de la religion.
Messe religieuse
Au-delà de la croyance religieuse, la messe religieuse, c’est la réactualisation d’un archaïque sacrifice humain que la coupable conscience humaine voudrait oublier : chair et sang, pain et vin, résumés, sublimés dans l’hostie. De l’acte criminel ancien on est passé à son actualisation, non par la répétition du crime, mais par sa sublimation poétique par le symbole. Et, qu’on lui donne un sens religieux ou non, ce symbole qui en vient à remplacer l’horreur initiale du sacrifice, c’est le degré le plus élevé de la civilisation.
Messe musicale
La messe musicale est la sublimation de cette sublimation. La musique a toujours accompagné la religion. Messe des morts et messe de résurrection, chacun, croyant ou non se trouve confronté un jour au mystère de l’origine et de la fin, de la perte des êtres chers, au sentiment de la sienne propre. Aussi, que le public vienne dans une église pour Bach, Mozart ou Beethoven, les textes liturgiques sur ces mystères fondamentaux, ne peuvent laisser personne indifférent.
Même si le Requiem, Messe des morts, est funèbre, sombre, malgré l’espoir du croyant, la musique sacrée est aussi celle de l’exaltation joyeuse, de la jubilation (« exaltate, jubilate… »), de la foi, de l’espérance d’une religion d’amour.
Nous en avons un bel exemple dans ce disque récent :
NICOLÁ PORPORA (1686-1768), VESPRO PER LA FESTIVITÁ DELL’ ASSUNTA, MARTIN GESTER, LE PARLEMENT DE MUSIQUE ET LA MAÎTRISE DE BRETAGNE, UN CD AMBRONAY.
C’est un juste hommage grand compositeur baroque napolitain Nicolò  ou Nicolá Porpora, célébrissime en son temps. Il fut maître de Joseph Haydn et, dans son école de chant de Naples, il forma nombreux chanteurs virtuoses, les castrats Farinelli, Caffarelli, Porporino. Ici, c’est la fête joyeuse de l’Assomption de la Vierge, composée pour les demoiselles de l’Ospedaletto de Venise en 1744,  comme Vivaldi écrivait pour celles de l’Ospedale della Pietá et l’on remarque, chez les deux musiciens, nombre de pièces virtuoses pour alto, voix féminine grave dont étaient apparemment bien pourvues les solistes des deux institutions. Ici, c’est Delphine Galou qui assure brillamment ce registre, d’un velours somptueux, constellé, illuminé dans les ensembles, par les deux remarquables soprani, Marilia Vargas et Michiko Takahashi. On trouve toute la sensualité italienne, cette dévotion toute charnelle dans le dynamisme chaleureux, les trilles comme des battements d’ailes, les vocalises en volutes comme un baldaquin baroque torsadé dont j’ai pu parler dans tel de mes livres sur le Baroque.

dimanche, mai 13, 2012

SACHA ET MOÂ


SACHA ET MOÂ
Carte blanche à Édouard Exerjean
Théâtre de Lenche
9 mai 2012
Le théâtre de Lenche non seulement poursuit une programmation théâtrale de qualité, mêlant grands textes classiques et des créations de jeunes compagnies, mais propose de plus un mois musical. Ce mois-ci, carte blanche était offerte à notre concitoyen Édouard Exerjean, grand pianiste reconnu, qui, longtemps hésitant entre théâtre et musique, courant longtemps avec succès sur les ondes musicales, a décidé depuis des années de marier ses deux amours pour offrir des spectacles où il est pianiste et comédien à la fois, et l’érudit et délicat anthologiste de textes délicieux et raffinés de grands écrivains.
 Lenche a déjà permis l’éclosion de nombre de ses concerts mêlant les mots et les notes, Mes partitions littéraires, Colette l’insoumise, Mes portraits de cœur, Cocteau, du visible à l’invisible et, ce mois-ci, Sacha et Moâ sur des textes de Guitry.
Sous une immense photo de Guitry, un portrait tachiste et un autre  clownesque chapeau jusqu'aux yeux,  un piano sur scène, un fauteuil et un petit bureau Louis XVI, un portemanteau où sont accrochées deux somptueuses robes de chambre chamarrées,des lumières délimitant des espaces, éclairant le visage soudain grave, des déplacements  et des gestes sobres mais justes, voilà la simple mise en jeu, toute discrète de Maurice Vinçon effacé derrière Exerjean.
Que pourrais-je dire de ce dernier que je n’aie déjà dit ?  J’en écrivais ceci le 24 Mars 2008 :
« Élève de Pierre Barbizet, lui-même professeur, longtemps partenaire à deux mains de Philippe Corre, applaudi à quatre par le public, dire d’Exerjean que c’est un grand pianiste, c’est défoncer une porte ouverte alors que ce Grand Prix du Disque ouvre grandes les fenêtres pour aérer au grand vent la formule du concert. Il ne lui suffit pas de bien jouer du piano, il élargit son clavier de son talent d’acteur, de diseur, pour mettre en vibration des textes amoureusement choisis, rares ou méconnus, avec des pièces de piano, tout aussi méditées qui en sont un horizon élargi vers le rêve, un indicible prolongement. »
Je ne pense pas que cette présentation ait vieilli. Et pourtant, je suis encore ébahi de cette puissance du verbe et du jeu, de cette mémoire sans faille, de cette élocution sans défaillance qui, pendant près d’une heure et quart, seul sur scène, tient suspendu, à son souffle inépuisable un public hors d’haleine, soufflé, époustouflé, bluffé devant la performance, comme si c’était nous qui avions parlé tant de temps, joué autant.
La prédilection d’Édouard Exerjean semble le porter surtout vers des musiques françaises de l’entre-deux guerres, éclatantes de vie et d’inventivité après l’explosion mortifère de 14/18 et avant celle de 39/40. Les textes aussi, amoureusement choisis, sont de grands auteurs de cette époque. Cette fois, c’était Sacha Guitry, acteur, auteur dramatique total, cinéaste, romancier, remportait ses suffrages et rencontrait les nôtres.
Alexandre (Sacha en est le diminutif) Guitry, né à Saint-Pétersbourg, mort à Paris (1885-1557), était fils de Lucien Guitry, grand acteur de théâtre, le plus grand de son temps avec Sarah Bernhardt selon Guitry fils. Ce dernier a écrit cent-vingt-sept pièces, beaucoup à succès, dont il assurait la mise en scène et l’interprétation, en a adapté lui-même dix-sept au cinéma, car il fut réalisateur et acteur de trente-six films (Si Versailles m’était conté). Pour Yvonne Printemps, sa deuxième femme, il écrit des textes de comédies musicales. Il fut par ailleurs auteur d’un roman, Mémoires d'un tricheur qu’il porta aussi à l’écran. Orson Welles le considérait comme un maître, ainsi que Truffaut et les cinéastes de la Nouvelle Vague.
On a encore dans l’oreille sa grande voix théâtrale, pompeuse, déclamatoire dont il était le premier à se moquer. De lui, on retient les répliques cinglantes, frappantes, les mots d’esprits, les saillies, les traits acérés, ciselés, la fausse misogynie de cet amoureux des femmes : 
« Parler des femmes, c’est en dire du mal » ; « Les femmes, je suis contre… tout contre. » Il présentait ainsi son mariage avec la jeune Jacqueline Delubac : « J’ai le double de son âge, il est donc juste qu’elle soit ma moitié ». Il en épousa cinq  et disait :
« Le mariage, c’est résoudre à deux les problèmes que l’on n’aurait pas eus tout seul. »
Quand on l’arrêta brutalement à la Libération en août 44, il racontait :
« Ils m’emmenèrent menotté à la mairie. J’ai cru qu’on allait me marier de force! », ajoutant : « La libération, j’en ai été le premier prévenu.» Un accusé, un prévenu qui en valait deux par la verve et le verbe avec lesquels, par la bouche amèrement ironique d’Exerjean, il narre cette iniquité de son arrestation en procédure inverse : emprisonné d’abord, interrogé après, inculpé jamais mais soixante jours d’emprisonnement sans preuves, au camp de Drancy, exposé à la vue et visées malveillantes de tous, à Fresnes, « où l’on est gardé », dit-il avec une belle autodérision, « protégé, ni visé ni visité. » Pour aboutir à un non lieu :"Donc, il n’y avait pas lieu !"
Et c’est l’un des mérites de ce choix subtil de textes où le diseur  nous fait passer du comédien toujours en scène et metteur en scène de sa vie à ce basculement vers le drame sans dramatisme mais avec une dignité humaine d’une grande noblesse : on attend l’auteur et l’on trouve un homme. À l’impudeur de l’acteur fait pièce la pudeur de l’auteur, l’un exposant le personnage, l’autre livrant pudiquement la personne, nue sans doute, mais habillée par le style et l’humour même dans les moments terribles. Magnifique auto-plaidoyer lorsqu’il balaie, avec des syllogismes dignes de la rhétorique grecques, les accusations mensongères de ses calomniateurs : anti-sémite ? Son amie Arletty, qui subit la même avanie mais pour des raisons fondées, le disait juif et il en protégea par sa notoriété. Anti-français ? En pleine Occupation allemande, il met des tirades patriotiques dans Désirée Clary, dans la reprise de Pasteur, qu’il avait écrit pour son père. Même sans grand discernement politique, il avait toujours exalté les gloires de la France, et il n’avait jamais joué ni autorisé une de ses pièces en Allemagne. 


Ce n’est donc pas seulement une promenade en Guitry l’auteur boulevardier dont les répliques font mouche que nous offre notre fine mouche de diseur, mais une réflexion humaine sur les apparences, qui peuvent amener à tuer (le pistolet sur la tempe) et la vérité profonde d’un auteur passant pour superficiel.
Bien sûr, Exerjean, nous aura délecté auparavant avec les paradoxes et l’esprit de Guitry et d’autres traits de Madame de Sévigné, Rivarol Talleyrand et autres beaux esprits. Amoureux, gourmet, gourmand des mots, il les détaille, les distille, les susurre, les murmure, les profère, les vocifère quand il faut, en épousant toutes les nuances, avec un grand éventail de tons dans la palette de l’humour : goguenard, narquois, insolent, railleur, persifleur. Il y a aussi la tendresse dans sa voix ronde quand il évoque le père Lucien et la passion de ce faux cynique de Sacha parlant du théâtre.

Et, comme un répit dans le débit lent ou rapide des textes, une respiration, une parenthèse qui est une ouverture sur le souffle de la musique, Édouard laisse le bureau, le fauteuil, passe au piano, nous donne un Debussy primesautier, une barcarolle rêveuse du compatriote russe Tchaïkovski, celle languide d’Offenbach, le vigoureux et allègre galop du Petit âne blanc d’Ibert, une valse de Reynaldo Hahn, Mozart, etc, et il nous fait le cadeau irrésistible de chanter, de l’opérette de l’intraitable Messager, L’Amour masqué, le fameux air J’ai deux amants que Guitry écrivit pour sa femme Yvonne Printemps, qui en avait plus d’un. Il nous gratifiera encore des couplets de Amusez-vous ! de Willemetz mis en musique par W. R. Haymann et qui furent chanté déjà par Albert Préjean et Jean Gabin, peut-être une écho à Indignez-vous ! d’aujourd’hui de ce « monde de merde. »
Le moi était odieux pour Pascal et les jansénistes. Sacha et Moâ, ironisant sur l’égocentrisme auto-parodié de Guitry, a la pudeur de se cacher, pour Exerjean, sous le service de l’autre, des autres, l’auteur et les compositeurs, et, pour Sacha, sous l’humour, qui est la pudeur du Je par le jeu.
Quelques disques d’Édouard Exerjean :
Piccolo & compagnie, Eugène Damaré, Paul-Agricole Genin, Johannes Donjon,...[et al.] ; Jean-Louis Beaumadier, Alain Marion, flûtes ; Jean Koerner, Edouard Exerjean, piano ; Ensemble instrumental La Follia. Éditeur Calliope, 1998.
Caprices Viennois, Franz Doppler ; Alain Marion, Jean-Louis Beaumadier, flûtes ; Edouard Exerjean, piano. Éditeur Calliope, 1993
Le groupe des six, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre... [et al.] ; Philippe Corre, Edouard Exerjean. Éditeur Pierre Vérany, 1986 

Théâtre de Lenche : Carte blanche à Édouard Exerjean
Programme :
9 au 19 mai : Sacha et Moâ. Création
Montage de textes de Sacha Guitry, piano et jeu : Edouard Exerjean ; mise en jeu : Maurice Vinçon.
Dimanche 20 mai 16h :  Concert Piano / Violon :  Fanny Clamagirand, violon, Edouard Exerjean, piano.
22 au 25 mai : Le Courrier de Monsieur Pic. Lecture et jeu : Edouard Exerjean et Maurice Vinçon ; piano : Edouard Exerjean.
Samedi 26 Mai, 20h30 : Concert de Clôture, Piano à 4 mains Sofja Gülbadamova, piano, Edouard Exerjean, piano
Renseignements et réservations : 04 91 91 52 22 www.theatredelenche.info
Théâtre de Lenche : 4, place de Lenche– 13002 Marseille
Dates et horaires: Mardi, vendredi et samedi à 20h30 Mercredi et jeudi à 19h Dimanche 20 mai à 16h
Tarifs : Général : 16 € ; Réduit : 8 € (intermittents, moins de 18 ans, habitants du 2e arrond., adhérents théâtres partenaires, chômeurs) | Bénéficiaires du RSA : 2€

Photos : Christiane Robin.

mardi, mai 08, 2012

DISQUES

 
CHRONIQUE DE DISQUES
 
L’actualité musicale de Marseille et sa région est si riche qu’elle ne  me laisse guère le loisir de rendre compte de celle de disques. Avec l’accalmie relative des vacances, voici un petit rattrapage.
D’abord un disque de ce jeune mais ambitieux label au nom plaisant, Indé!SENS, Mozart /Beethoven, quintettes pour piano et vents en mi b majeur. Ce disque met en regard, plutôt en écho, en écoute, deux quintettes pour piano et vents de Mozart (1756-1791), en mi bémol (numéro d’opus KV 452) et, en mi b M lui aussi (opus 16) de Beethoven (1770-1827), hautbois, cor, clarinette, basson. Pas de nom de groupe pour l’ensemble talentueux de jeunes gens qui les interprète et qui tourne, depuis 2011, avec ce programme, dans des salles prestigieuses d’Allemagne et d’Autriche, de Munich à Vienne, en passant par le Mozarteum de Salzbourg.
Lauréat de nombre de concours prestigieux, avec déjà un beau palmarès discographique, le pianiste Herbert Schuch, pour cet enregistrement, s’est entouré de quatre musiciens de sa génération, tous Premiers prix du fameux concours international ARD de Munich, et récompensés également par d’autres prix enviables qu’il serait long de décliner ici : Ramón Ortega Quero, hautboïste, David Fernández Alonso, corniste, Marc Trénel, bassoniste, Sebastian Manz, clarinettiste. Belle homogénéité de talents et d’âge, connivence sensible dans l’interprétation.Il y a donc deux Espagnols, un Français, et, avec Schuch lui-même, un autre Allemand : une pléiade européenne pour le langage universel de la musique pour ce disque enregistré à Paris.
Avec ce quintette, un piano et quatre vents, rare association d’instruments à l’époque, les vents étant voués en général, à cause de leur puissance sonore, à une vigoureuse musique de plein air, militaire ou d’agrément civil, Mozart dignifie cet ensemble inédit et inouï en le constituant, pour la première fois en musique de chambre intimiste, alors qu’on entendait et attendait plutôt des cordes dans cet emploi. La gageure n’était pas mince, les instruments à vent n’ayant pas, entre eux, l’homogénéité des cordes. Même si le piano y est central -Mozart le tenait-il donne un jeu égal à chaque instrument, et, dans la beauté des proportions, le résultat est un modèle d’équilibre. Mozart vante le succès de son œuvre dans une lettre à son père dont il regrette l’absence et le jugement :

« ce quintette, je le tiens, moi-même, pour le meilleur que j’ai encore écrit de ma vie… Ah, que je voudrais que vous ayez pu l’entendre ! »

On n’est pas obligé de croire Mozart lorsqu’il dit que c’est ce qu’il a fait de mieux, le mieux, chez lui, est innombrable, on le sait. Mais, à coup sûr, les interprètes l’ont pris au sérieux à juger le sérieux profond et allègre de cette interprétation équilibrée : pureté des lignes où se dessine un classicisme qui va vite perdre son équilibre serein avec Beethoven pour tomber dans un romantisme qui est, en somme, un affect baroque de ce classicisme.
Le quintette  de Mozart est de 1784, celui de Beethoven de 1796, à peine éloignés de douze ans : Mozart a vingt-huit ans et il lui en reste sept à vivre (il meurt en 1791 à trente-cinq ans), Beethoven, vingt-six ans quand il compose le sien, l’astre bientôt éteint le premier, soleil levant pour le second. Beethoven aurait pu entendre le quintette de son aîné admiré à ses seize ans, dans cette même Vienne qui l’accueille, en tous les cas, en consulter la partition. En effet, les ressemblances sont, sinon criantes, chantantes : un ensemble d’instruments assez rare, la même tonalité pour les deux de mi bémol majeur, trois mouvements pour les deux pratiquement aux mêmes tempi malgré la convention des mouvements tripartites en général. Lumineuse beauté de l’interprétation.
On remonte un peu le temps, et après Mozart et Beethoven, Autrichien et Allemand, ce dernier à cheval entre les XVIIIe et XIXe siècles, voici deux compositeurs français entre les XVIIe et XVIIIe, une époque qui ne connaît pas encore le piano mais presque exclusivement le clavecin :
Marchand, Rameau : Christophe Rousset, clavecin, éditions Ambronay.
C’est le claveciniste bien connu Christophe Rousset qui signe cet bel enregistrement par le choix et l’interprétation. Il le consacre à deux musiciens français Louis Marchand (1669-1732) et Jean-Philippe Rameau (1683-1774). Ils ont en facteur commun d’être pratiquement contemporains et d’avoir travaillé  tous deux à Lyon, où Marchand naquit et fut maître organiste ; Rameau, de Dijon, séjourna deux fois à Lyon avant de s’établir définitivement à Paris en 1723. Pour plus d’harmonie encore, Rousset joue sur un clavecin lyonnais historique signé Donzelague, construit en 1716.
Au programme trois suites de danses typiques de l’époque,  deux de Marchand suivies de trois pièces, et une suite de Rameau. Pour Marchand, Suite en ré de son Livre I édité en 1699 et la Suite en sol de son Deuxième livre de 1702. Pour Rameau, c’est la Suite en la également de son premier Livre,  paru en 1706. Les deux compositeurs utilisent le schéma traditionnel de ce qu’on appelle plaisamment la « Suite française », débutant par un prélude non mesuré, libre, suivi de danses en fait venues d’une Europe sans frontières : allemande dont le nom dit l’origine, gigue anglaise, sarabande et chaconne espagnoles, enfin courantes, gavottes, italiennes, menuets et courantes, étant les seules danses vraiment « françaises », encore qu’on est heureux de la porosité artistique des frontières, loin des sottes vanités nationalistes.
Évidemment, entre Marchand, encore tributaire du style noble et parfois compassé, mais très fleuri, du temps de Louis XIV qui assimile le clavecin, instrument à cordes pincées, à la viole et au théorbe, et celui de Rameau aux lignes claires mais plein de fantaisie et même de fureur, il y a la distance entre un baroque et le rococo scintillant, mais aussi entre le talent et le génie. C’est une belle promenade dans « le noble ferraillement » du clavecin qui, sonne, parfois, sans doute perfidie de l’acoustique du lieu d’enregistrement,  un peu sec
Pour finir, voici encore un disque encore original du label Indé!SENS qui  avec The art of euphonium, nous présente au mieux un instrument rare, l’euphonium, en apparence sorte de trombone de plus grandes dimensions, de la famille des saxhorns, au son le plus grave des cuivres, mais capable d’une douceur toute délicate, inventé en Angleterre en 1835. C’est Bastien Baumet qui nous promène à travers les musiques  de James Curnow, de Daniel A. d’Adamo, de Philip Sparke et de Vladimir Cosma dans les vibrations sensibles de son instruments si proche de la voix humaine, dans l’émotion de vibratos pudiques et des couleurs d’automne doré contemplé des vitres épaisses et vaguement colorées d’une caude et intime brasserie. Une poésie nostalgique se dégage de ce gros instrument si doux, aimable géant au cœur tendre.

jeudi, mai 03, 2012

IL TROVATORE


IL TROVATORE
Opéra en 4 actes de Giuseppe Verdi (1853),
Livret de Salvatore Cammarano, d’après le drame espagnol
d'Antonio García Gutiérrez (1836)
Opéra de Marseille,
2 mai 2012
L’œuvre : fausse légende de sa confusion
Verdi a dévoré avec passion, en langue originale, le drame El trovador, du dramaturge Antonio García Gutiérrez (né la même année que lui : 1813-1884), créé triomphalement à Madrid en 1836 et qui lance au firmament du théâtre ce jeune homme inconnu jusque-là. Il tirera encore un opéra d’une autre pièce du même, Simon Boccanegra (1857) et, plus tard, La Forza del destino (1862)
de Duque de Rivas, autre drame marquant du théâtre romantique espagnol. Comme avec Victor Hugo (Rigoletto), Alexandre Dumas fils (Traviata) ou Shakespeare (Macbeth, Otello et Falstaf), l’avisé compositeur au sens dramatique aigu, ne prend ses sujets que dans des pièces à succès et il est absurde d’imaginer une erreur de jugement ou de goût dramatique dans le choix du Trovador/ Trovatore (en réalité ‘troubadour’ et non « trouvère » selon  l’impropriété traditionnelle du titre français) pour accréditer le foisonnement compliqué d’une pièce qui ne l’est guère plus que le théâtre goûté à cette époque.
Verdi s’enthousiasme pour le sujet médiéval, les passions affrontées, ce conflit amoureux (entre le Comte de Luna et Manrico le « trouvère » bohémien apparemment, amoureux de Leonora, amoureuse de ce dernier), qui redouble le conflit politique, situé dans l’Aragon du XVe siècle, déchiré en guerres civiles. Dans la pièce, par ailleurs, s’ajoute le conflit de classe entre des Bohémiens, dans le camp des rebelles, et celui des nobles légitimistes et le désir de vengeance de la Bohémienne Azucena dont la mère a été injustement brûlée vive. Quant à Léonore, éprise du fils d’une bohémienne, elle trahit sa classe et prend parti pour les rebelles.
 Certes, les simplifications du librettiste Cammarano, qui meurt d’ailleurs sans terminer le livret, obligées par la nécessaire condensation qu’exige la musique, réduisent de beaucoup la complexité psychologique et dramatique de l’œuvre originale. Par ailleurs, comme dans le théâtre classique et ses règles de bienséance, le librettiste confie à deux grands récits (de Ferrando et d'Azucena) certains événements passés essentiels à la compréhension du drame présent qui déterminent l’action, le jeu et ses enjeux, sans compter des ellipses temporelles de faits passés en coulisses (la prise de Castellor), dites en passant, qui dans la complexité du chant, rendent difficile en apparence la linéarité de l’intrigue. Dans la tradition baroque le récit, le récitatif qui explicite la trame du drame sur un accompagnement minimal secco ou obligato, avec simplement un clavecin ou un minimum orchestral, permettait de suivre parfaitement l’action, traitée ensuite en ses effets et affects par les arias les plus complexes. Le problème, ici, c’est que Verdi, confie ces narrations essentielles qui exposent le nœud de l’action à des airs compliqués de vocalises qui en rendent confuse l’intellection, ainsi l’essentiel récit de Ferrando en ouverture, orné d’appogiatures (notes d’appui) haletant, haché de soupirs (brefs silences entre les notes), tout frissonnant de quartolets (quatre notes par temps). 

Expressivité musicale extraordinaire qui joue contre le sémantisme ordinaire du récit d’exposition. Défauts du livret, donc, compliqués par un chant lyrique, où librettiste et compositeur ont leur part mais que la musique sublime transcende largement et que les surtitres aujourd’hui permettent largement de dépasser pour peu qu’on y veuille prêter attention. On met au défi le spectateur de comprendre Rodogune de Corneille, Britannicus de Racine, s’il n’a pas compris les immenses tirades historiques, précises ou allusives, bourrées de noms propres, du premier acte d’exposition.  
La réalisation

Cette production marseillaise qui tourne partout, avec près de dix ans, n’a pas pris une ride pas plus que les réserves que j’en avais faites à propos de sa « modernisation » à la modedéjà ancienne depuis cinquante ans. 

Certes, Charles Roubaud qui la signe a trop de culture pour ne pas pouvoir argumenter son choix : il transpose l’histoire du XVe siècle et des guerres civiles en Aragon au XIXe et les guerres carlistes en Espagne, dont la première éclate justement (1833 / 1846) à l’époque de El trovador, même si par les magnifiques costumes de Katia Duflot nous sommes plus à l’époque de la création de l’opéra qu'à celle du drame original. Cependant, étant donné l’évacuation du politique de la pièce dans l’opéra de Cammarano qui n’en garde qu’une histoire d’amour contrarié et une vengeance, si l’on peut accepter dans une Antiquité mythique ou un Moyen-Âge légendaire des récits fabuleux, cette histoire de sorcellerie, de bûcher, de substitution d’enfant, trop rapprochée chronologiquement de nous, même dans une Espagne livrée aux dissensions civiles, l’éloigne irrémédiablement dans l’invraisemblance absolue et montre, sous le bel apparat de ces décors (Jean-Noël Lavesvre
 ), ces sombres lumières de rêve ou de cauchemar (Marc Delamézière) un appareil luxueux de vaine décoration plus que de signification profonde. 
Tant qu’à moderniser à tout prix, comme je l’ai écrit autrefois, il y aurait eu, peut-être, de la pertinence à situer cette action, où deux hommes politiques et guerriers se disputent la même femme qui pourrait symboliser l’Espagne, à l’époque de la Guerre civile de 1936/1939 (qui finalement est la quatrième guerre carliste espagnole en un siècle), les Gitans étant les libéraux, les « Rouges », les rebelles, face à un pouvoir réactionnaire, totalitaire, d’autant que Franco voulait rétablir l’Inquisition, le fascisme s’y connaissant en bûchers… Beau diptyque espagnol pour Roubaud qui avait ramené avec succès le Cid tout aussi médiéval à l’époque de la transition du franquisme avec la monarchie libérale actuelle.
Il reste qu’on apprécie la beauté neigeuse de ces paysages de montagnes encadrées dans ces immenses tableaux auxquels répondent les gris clairs et sombres, glacés, des robes de Leonora et Inés dans des lumières lunaires, la crépusculaire perspective de fuite jaune, orange et rouge de cet immense palais baroque aux colonnes romaines délabrées, l’ambiance nocturne générale où l’immense grille est oppressante bien que largement ajourée. On eût juste rêvé que toute cette esthétique fût nourrie d’un peu d’éthique du sens.
Interprétation
Le plateau est magnifique, homogène. D’une voix au noble et beau métal de basse, Nicolas Testé, à quelques appogiatures près peu sensibles dans leur bref staccato, se tire avec honneur du tout premier air après l’ouverture schématique, campant un Ferrando de belle allure. Carlos Almaguer a une exceptionnelle voix de baryton d’airain, impressionnante de volume et d’éclat, tonnante, et à un moment un peu détonante à force d’excès : il fait du Comte de Luna un reître brutal et guère charmeur qui tonitrue son air supposé d’amour, plus tempétueux qu’amoureux. Sur ce chapitre, il ne peur guère rivaliser avec Manrico,  le troubadour charmeur et chevaleresque incarné par un Giuseppe Gipali en pleine forme, virile prestance physique et belle prestation vocale jusqu’à un aigu éclatant, vaillant, dans un timbre aux chaudes vibrations. En comparses, Carl Ghazarossian donne de l’expressivité dramatique à sa brève phrase avec Leonora ; Frédéric Leroy et Wilfried Tissot sont de bonnes silhouettes chantantes.
Côté dames, 
Anne Rodier, Inés, est une suivante de grande classe. En Azucena, la Russe Elena Manistina est une révélation : voix profonde de mezzo grave, égale, ample, puissante, elle semble autant planer vocalement qu’humainement coller à la terre, aux sentiments humains déchirés de fille et de mère, implacable et obsédée dans la vengeance, névrosée mais non folle malgré l’atroce expérience. Malgré un aigu un peu raide dans son premier air, vite corrigé, Adina Aaron est une Leonora de rêve, élégiaque, tendre, passionnée, voix ronde du grave somptueux aux aigus aisés, timbre velouté, rond, avec des sons filés et des piani émouvants. Les chœurs nombreux sont parfaitement tenus et menés par Pierre Iodice.
Malgré la difficile première longue scène avec Inés où les mouvements se répètent (prises de mains), la justesse des rapports des personnages est manifeste dans la série émouvante de duos, notamment ceux qui alternent à la fin où Tamás Pal, qui sait faire rêver la musique avec la plainte de Leonora sous la tour, qui en fait sourdre l’angoisse ténébreuse à d’autres moments, la cisèle, la rend incisive, décisive, haletante, révélatrice dans son urgence de la vérité profonde des sentiments exprimés sous la fiction conventionnelle romantique.
Il trovatore de Verdi
24, 27 avril 20h, 29 avril, 14h30 et 2, 4 mai  à 20h00.
Production de l'Opéra de Marseille
Orchestre et chœur (Pierre Iodice) de l’Opéra de Marseille. 


Direction musicale : Tamás Pal
.
Mise en scène : Charles Roubaud
 ; assistant :  Bernard Monforte
Décors : Jean-Noël Lavesvre
 ; costumes : Katia Duflot ; 
lumières : Marc Delamézière.
Distribution : 

Leonora :  Adina Aaron ; Azucena : Elena Manistina ; 
Inés : Anne Rodier ; Manrico : Giuseppe Gipali ; Le Comte de Luna : Carlos Almaguer ; Ferrando : Nicolas Testé ; Ruiz : Carl Ghazarossian ; un vieux gitan : Frédéric Leroy ; le messager : Wilfried Tissot.

Photos : Christian Dresse :
1. Corps de gardes : Ferrando (Nicolas Testé) ;
2. Adina Aaron (Leonora) et Anne Rodier   (Inés) ;
3. Azucena et son fils (Elena Manistia et Giuseppe Gipali) ;
4. Perspective baroque de Castellor (Leonora, Manrico) ;
5. Azucena ( Elena Manistina) prisonnière du Comte (Carlos Almaguer ) ;
6. Leonora aux pieds de la tour ;
7. La prison (Leonora, Manrico, Azucena endormie).

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