Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

jeudi, mai 26, 2011

D'autres rivages

CHRISTINA ROSMINI
 AU TOURSKY,
24 mai 2011
Faut-il présenter à Marseille cette Marseillaise Christina Rosmini même si, sur les ailes du succès, elle a couru le monde jusqu’au Brésil? On l’a vue sur les écrans du cinéma, à la télé, on l’a entendue dans les radios. Paris nous la rend enfin un peu et elle fait une halte à Marseille, son port d’attache avec lequel elle ne rompt jamais les amarres. Elle y vient fidèlement présenter, après Sous l’oranger qui, parti d’ici alla longtemps refleurir ailleurs, son nouveau spectacle, D’Autres Rivages. Depuis notre rive phocéenne, en ensemble cohérent de dix-sept chansons dont douze nouvelles pour cinq succès figurant dans son précédent album. Son équipe change et s’enrichit : Bruno Caviglia et Manuel Delgado aux guitares, Xavier Sánchez aux percussions et Sébastien Debard à l’accordéon.
Personnellement, je revois sur les bancs de l’université cette étudiante studieuse, sérieuse et rieuse, brûlant déjà les planches du théâtre de la Faculté des lettres d’Aix, chantant et dansant le flamenco. Puis le cinéma, le théâtre l’ont saisie au vol. Elle fut, sur le texte de Mérimée Carmen la nouvelle de Louise Doutreligne, en version bilingue, français-espagnol, promenée deux-cents fois en France et en Espagne, avec une escale à guichet fermé au théâtre Gyptis. Ensuite, elle écrit et crée une pièce de théâtre musical sur l’Espagne médiévale des trois cultures, illustrant son rêve, son utopie, de coexistence harmonieuse des trois religions du Livre, Al-Andalus, le Jardin des Lumières lors de festival d’Avignon 2002 faisant une étape aixoise pour Horizontes del sur. Mais cette militante humaniste, féministe, très engagée socialement, ne s’arrête pas là et écrit et monte un autre spectacle sur le Front Populaire et les premiers congés payés au beau titre Au Devant de la Vie.
Cependant, c’est la musique et la danse qui sont l’étincelle et le feu de cette flamme vive à la voix ardente et fruitée. Avec ses origines espagnoles, corses et italiennes, cette vraie Marseillaise se définit fort justement comme une « chanteuse méditerranéenne ». Sa chanson De Méditerranée, qu’elle interprète encore avec une fougue irrésistible, mêlant rythme de la sévillane andalouse et de java parigote, est un vrai manifeste personnel, familial et, finalement, universel dans le local.
Il faut le souligner : à tous ses talents de comédienne, de danseuse, de chanteuse, il faut ajouter, essentiellement, celui d’auteure, compositrice et interprète. Car, même si elle ne dédaigne pas des chansons de grands auteurs (dont Roda-Gil), les siennes sont un plaisir d’intelligence, d’humour, de rythme, de poésie. Dans son album, Sous l’oranger, on trouvait déjà, dans un mélange hispano-arabo-français de la meilleure bonne humeur, de petits joyaux autobiographiques, des confidences malicieuses (En anana, en annana, en analyse, le rêve féministe coquin de harems masculins) ou plus émouvantes de pudiques déchirements intimes.
On retrouve ici cette même veine. Son militantisme politique au sens noble du mot s’exprime avec vigueur par le fameux Quinto regimiento, sur la fondation de ce régiment de volontaires à l’initiative des partis communiste et socialiste pour combattre Franco dès le lendemain de son soulèvement contre la République espagnole. Cela se chantait sur l’air d’une chanson du folklore andalou, Anda jaleo !, en réalité héritage musical d’une air célèbre du début du XIX e siècle, El contrabandista, de Manuel García, le grand chanteur et compositeur espagnol, père de la Malibran et de Pauline Viardot. Son engagement pour une culture métissée se manifeste encore par l’interprétation d’un tango algérien, d’une poétique chanson sur les origines arabes de Ramatuelle qui signifie ‘digne d’Allah’, par une autre sur la Vierge des gitans, Sara Kali, des Saintes-Maries-de-la- mer et une autre d’inspiration indienne.
À chaque fois, avec une grande justesse et une belle stylisation chorégraphique (Pazit Grossmann), avec de magnifiques gestes avec l’éventail, le voile et le mantón de Manila, avec ses postures du corps, l’intégration des musiciens (mise en scène Agnès Boury) elle est danseuse de flamenco, de tango, gitane ou indoue, dans une magnifique robe rouge à géométrie variable (Claire Swartz et Dany Michels). Ses immédiates racines familiales, elle les déballe avec une sorte de touchante et pudique impudeur avec un hommage à son père, même à son frère, et toujours bouleversante en évoquant tendrement, poétiquement, sa mère disparue. Sa voix, sans rien perdre de la couleur fruitée et feutrée de son médium a gagné d’assurance dans des aigus éclatants.
Oui, Christina est originale, singulière, son charisme, sensible. Que faudrait-il pour que cette magnifique interprète, qui soulève les spectateurs nombreux de ce grand théâtre marseillais, touche les plus vastes auditoires qu’elle mérite? Peut-être devrait-elle, tout en restant elle-même, sortir justement un peu d’elle-même en élargissant son répertoire vers le général pour gagner une généralité de public.
Ce spectacle, avec un beau décor de paravent à moucharabieh s(Charlotte Villermet), de belles lumières (Fred Millot) qu’on espère vite sortir en album, mérite aussi un DVD et doit voguer de rivages en rivages.
Photos :
1. Alexis Boichard ; graphisme : Romain Gillet.
2. Sous l’oranger, CD Le chant du Monde.
 

mardi, mai 24, 2011

SANDRA RIVAS ENSEMBLE

SANDRA RIVAS ENSEMBLE

N’en déplaise à certains, ce n’est pas d’hier que Marseille est, comme on disait, une ville cosmopolite, ou, comme on dirait aujourd’hui, avec des pincettes, ville d’immigration, où toutes sortes de populations se croisent, se mêlent, s’emmêlent au mieux pour donner de bons Marseillais. Mais il ne s’agit ici que de parler d’immigration artistique, d’artistes qui ont choisi Marseille, avant même qu’elle ne soit Capitale de la Culture prochainement.
La Marseille black/blanc/beur ne date pas d’aujourd’hui : c’est la marque d’un port qui fut aussi Porte de l’Orient. Où des cultures se mélangent pour faire de parfaits produits marseillais, comme son fameux savon, importé, immigré d’Alep.
Regardez des tableaux anciens, entre autres, ceux de Joseph Vernet, peintre du XVIII e siècle, représentant le Vieux-Port au : on voit des gens habillés de toutes les façons, des femmes voilées, des hommes en djellabas, des gens coiffés de turbans, d’autres de perruques poudrées à la mode du temps. Au siècle précédent, la parisienne Madame de Sévigné, en visite chez son gendre Monsieur de Grignan, Gouverneur de la Provence, écrivait : « Marseille est le faubourg d’Alger » mais ne se plaignait que du « vent fripon », sans doute qui soulève les robes. Oui, déjà Marseille et Paris…
On connaît le fameux vers de la Ballade des femmes de Paris de Villon : « Il n’est bon bec que de Paris ». On en a fait un proverbe de l’excellence parisienne primant sur toutes les provinces. Et pourtant, aujourd’hui, comme l’étudie très bien un essai récent de Rebecca Piednoir et Michel Gairaud, paru aux éditions Les Petits matins, ARTISTES LOIN DE PARIS, nombre d’artistes d’ailleurs ont choisi notre ville pour s’y exprimer. Je vous en présente deux, une jeune femme d’ailleurs venue ici, une autre d’ici et d’ailleurs (ci-dessus, Christina Rosmini). 

Voici d’abord Sandra Rivas et son Ensemble. Cette jeune chanteuse venue du Venezuela, a trouvé quatre complices musiciens au larges compétences et styles, Renaud Duret, contrebasse, basse électrique, guitare, Pascal Delalée, violon, guitare, voix et effets sonores, et l’Italien Nicolà Marinoni, percussions, et voix comme tous les autres. Dans notre cité vouée aux métissages, ils se proposent de mélanger harmonieusement diverses traditions musicales et ils déposent à notre porte des « chants errants » que la mémoire collective colporte : c’est un cocktail inventif de mélodies latino-américaines et de chants sépharades, des Juifs de la diaspora espagnole ancienne, expulsés d’Espagne par les Rois catholiques en 1492. Ils viennent d’ouvrir en beauté le Festival d’Horizontes del sur, "l’Espagne des trois cultures" qui dure jusqu’au 28 mai.
Le résultat est convaincant : traitement digne de ces musicales léguées par la tradition avec des arrangements originaux, séduisants, qui dépaysent agréablement. On a plaisir a entendre leur adoption et adaptation des Tres morillas de Jaén, du XV e siècle espagnol, évocation de trois petites mauresques christianisées après la prise de Jaén par les chrétiens. Ce célèbre petit joyau est un zéjel, la forme strophique sans doute la plus ancienne de la poésie arabigo-andalouse, dont l’invention est prêtée au Ciego de Cabra, un musicien aveugle du IX e siècle, constituée d’un tristique monorime (des strophes de trois vers à même rime dont la rime finale commune appelle le refrain). Federico García Lorca harmonisa cette chansonnette comme un certain nombre d’autres du patrimoine musical andalou, qu’on prend à tort comme des créations personnelles. Bien sûr, on s’étonne un peu de voir ici figurer ce morceau parmi d’authentiques chants sépharades, mais il est vrai que ces excellents musiciens prennent un bagage patrimonial anonyme, appartenant à tous et en font un objet personnel, nous le rendant à travers le prisme et rythme judéo-espagnol. Ainsi, on retrouve aussi la célébrissime Llorona mexicaine, dont il existe tant de versions poétiques, dont cette Vénézuélienne, ces Français  et cet Italien nous délivrent une bien belle version.
On retrouve, à côté, d’authentiques chansons sépharades anciennes (Por qué llorax) Adio querida, probablement du XIX e siècle, sans doute quelque peu inspirée par « Addio del passato » de la Traviata de Verdi (et non l’inverse comme certains aiment à le croire) et la tout aussi fameuse A la una yo nazí. Bien venue rythmiquement, très tonique, Tengo dos amores.
Parmi ce choix, une mélodie venue du fond des âges, me touche particulièrement : Morena me llaman, /yo blanca nací, (‘On m’appelle la brune, /mais je suis née blanche’). Il faut savoir que longtemps, l’un des canons de la beauté féminine était la blancheur de la peau, et les femmes sortaient masquées pour ne pas gâter leur épiderme comme les femmes du peuple. Mais, de plus dans l’Espagne médiévale, la blondeur et la blancheur de peau étaient le signe de la noblesse d’origine wisigothique et une peau foncée, la marque du mélange soit avec les Maures, soit avec les juifs. Cette jeune femme se lamente ici car le soleil et les travaux des champs ont sans doute foncé sa peau, cependant, elle assez belle pour attirer le regard des marins et du fils du roi. La valorisation esthétique de la brune aux grands yeux noirs et aux cheveux d’ébène sera plus tardive, mais les mâles espagnols n’avaient pas attendu cela pour apprécier la valeur érotique des brunes, mauresques puis « moriscas », et plus tard gitanes. Mais cette chanson populaire venue de la nuit des temps, sans même le savoir, est un héritage inconscient des versets 1 : 5 du Cantique des cantiques attribué à Salomon : « Nigra sum, sed formosa », ‘Je suis noire mais belle’, phrase prêtée à la Reine de Saba qui serait une Éthiopienne noire, mais paroles affectées aussi à la dévotion des Vierges noires, comme celle de Rocamadour. Sandra Rivas, voix charnue et charnelle, donne à cette mélopée au charme immémorial le charme émouvant d’une plainte d’une complainte hors du temps, et notre Vénézuélienne réussit de populaires et mélismes orientalisants envoûtants, s’enroulant comme de longs cheveux sensuels, des rets séducteurs, autour de l’âme captive de l’auditeur.
La guitare hispanique et orientalisante, les percussions délicates, ce violon tzigane qui strie l’espace musical, donnent la couleur sépharade ambiante, mais la délicatesse inventive des timbres singularise joliment cet ensemble. Il est à souhaiter une rapide sortie de disque.
Photo : Dominique Clément.

mardi, mai 17, 2011

Concert de l’Orchestre Philharmonique de Marseille


Concert de l’Orchestre Philharmonique de Marseille
Berlioz, Tomasi, Rodrigo, Tchaïkovski
Emmanuel Rossfelder, guitare,
Mark Shanahan, direction.
Opéra de Marseille, 14 mai
Opéra comble pour ce concert de l’Orchestre Philharmonique de Marseille sous la direction bonhomme du chef irlandais Mark Shanahan.
En diptyque, en volet symétrique deux savoureuses pages orchestrales ouvraient et fermaient le programme, Le Carnaval romain, de Berlioz, Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski, pleines de couleurs et de danses. Au milieu de ces deux brillantes pièces symphoniques, au cœur, au cœur battant, il y avait deux concertos pour guitare et orchestre.
En ouverture, plus que romain, le fameux Carnaval nous parut vénitien, d’une Venise noyée dans la brume, tant le chef, prenant à contre-pied des interprétations excessivement coloristes de cette page haute en couleurs, estompa dans une brume la vive palette, parfois gaillarde et même égrillarde sainement, populaire, de Berlioz : plus près des pastels XVIII e siècle que des teintes vives et violentes d’un Delacroix romantique. Même parti pris de délicatesse et de nuance dans tout le programme, avec de beaux contrastes dans La Lac des Cygnes, avec un chef se dandidant sinon dansant, dont le bis de « La  danse des cygnes » fut plutôt une humoristique danse des canards pataude et pataugeante, éclaboussée des applaudissements des spectateurs.
Les deux concertos pour guitare, en écoute  et regard symétriques, eurent un soliste d’exception : élève d’Alexandre Lagoya, Emmanuel Rossfelder, guitariste, allure, stature, figure et sourire de rocker, ouvert au public, attentivement souriant aux proches violons et au chef. Son jeu est franc, très hispanique dans sa façon de jouer limpio, ‘propre’ comme l’on dit en Espagne, net, notes bien détachées, jamais savonnées ni brouillés ; franchise d’attaque qui n’exclut pas la délicatesse irisée de la nuance sans mièvrerie.
On ne s’attardera pas sur le concerto fameux, de Joaquín Rodrigo, le Concierto de Aranjuez, lumineux et nostalgique. Depuis sa création en 1940, il a été plus joué, dit-on,que les plus beaux des concertos de Mozart… Mais notoriété n’est pas crime, bien sûr. Il faut dire que ce séduisant tableau néo-classique, oubliant le présent terrible de la Guerre Civile espagnole à peine achevée, tourné vers le passé comme le régime franquiste, rêve d’une Espagne ancienne, idéalisée, riante, dansante, en ses premiers et second mouvements, avec une parenthèse d’ombreuse mélancolie dans son célèbre adagio du milieu où la guitare, en arpèges et gammes descendantes, dialogue avec les volutes de la plainte tendre, aiguë mais adoucie par l’estompe brumeuse du cor anglais, « anglé » (courbé ou coudé) pour être plus précis.
Le concerto d’Henri Tomasi, est sombre, tragique, à la mémoire d’un poète assassiné, Federico García Lorca. Dédié et créé par Lagoya en 1969, à l’inverse, semble fait pour ne pas oublier et pour témoigner de l’horreur passée mais toujours présente de la Guerre, tournant le regard et le cœur en arrière : lorsque les fascistes de Franco, soulevés contre une République légitime, aux premiers jours de la Guerre Civile, en 1936, assassinent symboliquement l’une de ses nouvelles gloires, le délicat et puissant poète, Federico García Lorca, bourgeois aux sympathies populaires, coupable d’innocence poétique, et de vie privée non conforme aux normes de l’appareil répressif franquiste.
D’entrée, brièvement mais fortement, comme un appel de mort de percussions, l’orchestre semble s’ouvrir en rideau de théâtre funèbre, une force de fer, stridente, grinçante, grimaçante, tranchante, acide, qui paraît vouloir broyer dans ses mâchoires de cuivre, d’acier, la voix soliste, solitaire, de la guitare qui émerge de l’ombre. Tout au long, l’orchestre l’interrompt, la rompt, comme brisant une fragile corde, de la guitare ou le fil de la vie, de la vie du poète assassiné. Il ne faut pas s’attendre ici à une charmeuse guitare de sérénade, ni à un folklore espagnol galvaudé : on est dans une Espagne noire, tragique par la fatalité monstrueuse de l’Histoire. Quant un régime s’attaque à la poésie, à l’artiste, la concordance du monde est rompue, et seules les dissonances peuvent dire les débris irréparables de l’harmonie perdue. Même tempérée par la douceur du chef, cette interprétation très intérieure, apparemment moins tragique que celle du créateur de l’œuvre, n’échappait pas à la tragédie : c’était une vraie recréation.
Sans doute pour alléger cette tension et attention aiguë, Emmanuel Rossfelder nous gratifia avec brio de deux bis de célèbres pièces de guitare, Recuerdos de la Alhambra, de Tárrega, et Preludio, Leyenda ou Asturias du picaresque Albéniz, pressé par le besoin d’argent, qui donna trois noms au même morceau comme le rappela malicieusement le guitariste.

RAPPEL : on peut connaître un peu mieux le grand compositeur corse, né à Marseille, Henri Tomasi (1901-1971) en se plongeant dans un livre album passionnant, richement illustré par une belle iconographie:
UN IDÉAL MÉDITERRANÉEN
HENRI TOMASI,
par Michel Solis,
Postface de Daniel Mesguich,
 Éditions Albiana, 182 pages.
Accompagné d’un CD de trois œuvres du compositeur, 25 euros.

Opéra de Marseille, 14 mai
Concert de l’Orchestre Philharmonique de Marseille
Berlioz, Tomasi, Rodrigo, Tchaïkovski
Emmanuel Rossfelder, guitare,
Mark Shanahan, direction.
Photos :
1. Mark Shanahan ;
2. Emmanuel Rossfelder
3. Henri Tomasi.

samedi, mai 14, 2011

Stabat Mater, d’Antonin Dvořák


FESTIVAL DES MUSIQUES SACRÉE DE MARSEILLE
Stabat Mater, op. 58 d’Antonin Dvořák
Église Saint-Michel
6 mai 2011
L’ŒUVRE
Mater dolorosa
Mère douloureuse… Cette expression, sinon sacrée, est consacrée pour signifier une mère pleurant son enfant mort. Enfant entre les bras de sa mère, adulte entre ceux de son amante, mort entre ceux de la mort assimilée au « retour à la mère » par les psychanalystes, du berceau au tombeau, la vie de l’homme est circonscrite entre les parenthèses de ces bras tendrement ouverts de la Femme. Ainsi, la Mère portant son enfant mort est bien l’image archétypale de l’universelle douleur, car il n’en est pas de plus grande.
Que l’on soit croyant ou non, le texte médiéval du Stabat mater… de Jacopone da Todi, qui narre en longues strophes la douleur de la Vierge Marie près de la croix où se meurt son fils Jésus, ne peut laisser indifférent personne. Une douleur que le narrateur du poème, par « condoléance » (au sens précis de ‘se douloir avec’, ‘s’affliger avec’), semblant voir ou remémorer la scène ultime de la Passion, veut par compassion (‘souffrir avec’), partager avec cette mère, avec ce crucifié innocent et généreux.
Il est bien difficile, donc, que l’on croie ou pas, de ne pas ressentir l’émotion que dégage ce texte devenu canonique dans une religion d’hommes, dans une Église sinon radicalement misogyne, du moins très ambiguë sur le statut de la femme en son sein. En témoigne d’un côté le culte marial enraciné en elle, malgré elle, et la place très longtemps discutée (et même combattue) de Marie en son sein. La dévotion mariale, populaire, a toujours été perçue comme une sorte de déviation suspectée de devenir culte en soi et la Vierge Marie aura dû attendre 1854 et 1950 pour voir définir les dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption qui officialisent sa situation dans le catholicisme. Jean-Paul II rappelait par encyclique que la Vierge Marie n’est pas « Mère de Dieu » (Dieu étant incréé), mais du Fils de Dieu, et la remettant à même sa vraie place : « servante du Seigneur » et première et plus parfaite disciple de son fils… Mais les dogmes ne peuvent rien contre ni pour cette mère douloureuse qui est sans doute le facteur émotionnel le plus puissant de cette religion.

Père douloureux
La douleur de la mère, générique, n’empêche évidemment pas celle du père et ce Stabat Mater est l’expression musicale de la douleur du compositeur : en deux ans, entre 1875 et 1877, il perd trois de ses enfants. Cette musique, commencée pour le premier de perdu, inachevée, reprend vie, si l’on peut dire, avec la perte des deux autres. Cette œuvre, au succès immédiat en 1880, le rend célèbre dans toute l’Europe. Tout en musiquant la douleur de la Mère, Dvořák, exprime donc la douleur du père et l’on n’est pas sans songer aussi aux postérieurs Kindertoten Lieder (1901-1904), ces ‘Chants des enfants morts’ de Mahler sur les poèmes de Friedrich Rücker, père en deuil.
La musique suit scrupuleusement les séquences du texte de Jacopone mais en reprend les premiers vers, les enfermant chaque fois comme une forme close sur elle même par les paroles, mais éclatée par cette narration singulière reprise par la pluralité chorale : le moi narratif et soliste qui exprime cette douleur, l’universalise en quelque sorte par les duos, les quatuors et les passages de relais au chœur. L’émotion, comme ces larmes donc il est question, est donc chaque fois instillée et distillée, s’infiltrant ou coulant sur nous en goutte à goutte à la fois de souffrance dite et de jouissance versée par la musique.

INTERPRÉTATION
La musique, l’art, n’ont pas de sexe, bien sûr : ils appartiennent à qui l’exerce et à qui l’écoute, au-delà des barrières de genre. Cependant, facteur affectif ou intellectuel, il n’est sans doute pas neutre que ce soit une femme, une mère, Claire Gibault, qui soit l’interprète d’une telle œuvre. Et il est certain qu’on ne peut rester indifférent à voir, de dos, ces bras qui se tendent comme d’amples battements d’ailes dans un ciel émotionnel, de la voir de face grâce au miracle des écrans, murmurer en silence une nuance, chuchoter sans un mot une couleur, modeler des lèvres les paroles pour le chœur admirable de cohésion. Les mouvements finissent dans une sorte d’ourlet délicat de pianissimi après les paroxysmes de douleur, comme une frange d’espoir fondus dans le silence environnant qui est encore musique.
Le quatuor vocal est exceptionnel, non simplement par les voix, toutes belles, mais par la ferveur, la passion et la délicatesse. Toujours plongée dans la musique même lorsqu’elle ne chante pas sa partie, se mêlant aussi discrètement au chœur, Marie-Paule Dotti, soprano, voix légère et pleine de satin, Vierge déjà en Assomption, nimbe comme une dorure médiévale l’arc-en-ciel vocal du quatuor ; Elodie Méchain, alto au sombre velours enveloppant, est comme la souffrante part humaine d’ici-bas, grandiose et simple dans une sorte d’aria da capo ; le ténor roumain Calin Bratescu, c’est le soleil éclatant d’amour et de douleur qui point, accents sincères de la compassion et d’une interrogative révolte face à cette trop humaine et inhumaine souffrance ; la voix de basse du russe Dimitry Ulianov, c’est un métal puissant, cosmique, qui semble fondre humblement de tendresse et de tristesse intimes.
Triomphe mérité pour l’Orchestre Philharmonique de Marseille, ce Chœur régional PACA remarquablement préparé par Michel Piquemal, ce quatuor vocal somptueux et Claire Gibault : une grande dame pour (Notre) Dame.

Stabat Mater, op. 58 d’Antonin Dvořák
Marie-Paule Dotti, soprano, Elodie Méchain, alto, Calin Bratescu, ténor, Dimitry Ulianov, basse, Chœur Régional PACA (directeur Michel Piquemal), l’Orchestre Philharmonique de Marseille, dirigés par Claire Gibault.
Photos :
1. Claire Gibault ;
2. Marie-Paule Dotti ;
3. Elodie Méchain ;
4. Calin Bratescu ;
5. Dimitry Ulianov.

mardi, mai 10, 2011

CLAIRE GIBAULT


CLAIRE GIBAULT
OU
LA MUSIQUE À MAINS NUES

Le Festival des Musiques sacrées de Marseille recevait Claire Gibault qui dirigeait le Stabat Mater, d’Antonin Dvořák. C’est l’occasion, de parler de son livre, La Musique à mains nues, paru chez L’Iconoclaste sous l’égide de France-Musique.
Claire Gibault est précurseur (on ne dit pas précurseuse), disons plutôt pionnière, dans la carrière des femmes chefs d’orchestre telles, aujourd’hui, Laurence Équilbey, Emmanuelle Haïm, et récemment l’alto, la contralto Nathalie Stuzmann.
Dans le livre de Claire Gibault, de cette grande musicienne qui aujourd’hui écrit, il est, évidemment, question de musique mais aussi de parole, de difficulté de parole, et de la musique comme une parole, une délivrance. Mais il convient de savoir d’abord ce que parler veut dire. Il est toujours révélateur de s’interroger sur la langue, la parole, qui parle toujours en vérité pour peu que l’on secoue la torpeur de l’usage, le sens figé des mots.
Le féminin des mots
La langue est le véhicule de l’idéologie et en garde la trace. La langue stratifie la longue domination masculine : elle révèle le pouvoir, bien sûr, celui des hommes.
À preuve, il y a des mots qui semblent n’avoir pas de féminin. Même si les féministes aujourd’hui donnent au mot professeur le féminin de professeure, à écrivain, écrivaine, à auteur, auteure, on voit mal transformer chauffeur en chauffeuse, le mot étant déjà pris dans l’acception non de femme chauffeur mais de chaise « basse que l’on approchait de l’âtre pour se réchauffer. »
Ainsi, si l’on simplifie chef d’orchestre en « chef », à l’heure où nombre de femmes se lancent dans cette profession prestigieuse, comment nommer aujourd’hui celle qui est chef d’orchestre ? Bien sûr, pas question de l’appeler, chèfe, chéfesse, et sûrement pas cheftaine, ce qui réduirait l’orchestre qu’elle dirige à un groupe de scouts (tiens ! on ne dit guère « scoutes »), et le mot cheftaine, significativement est devenu dénigrant, il désigne une ‘femme autoritaire’ : « une vraie cheftaine, celle-la ! », dit-on parfois, et ce n’est guère flatteur. Évidemment, il n’y a pas de terme familier pour désigner un homme affligé du même défaut… Le patron, le boss, on trouve normal qu’il soit autoritaire, on lui en fait même parfois une vertu et, s’il ne l’est pas, une honte.
Mais, pour en revenir à la femme chef d’orchestre, de quelle forme d’interlocution va-t-on user en l’interpellant?  C’est-à-dire, comment va-t-on s’adresser à elle? Le chef d’orchestre homme, l’usage veut qu’on l’appelle maestro, ‘maître’? Évidemment, il serait d’une ingénuité enfantine de la nommer « maîtresse » comme un enfant désigne sa maîtresse d’école ; il serait inconvenant de suggérer « maîtresse » qu’on entend comme ‘amante’, ou parfois, aujourd’hui, comme amante tarifée et dominatrice dans les jeux sado-maso.
Bref, on voit combien la langue est explicite, parlante, même dans ses silences ou réticences, pour ce qui est de désigner une femme dont le métier est de diriger les autres, même dans le monde supposé de l’harmonie musicale. En effet, dans cet univers souvent impitoyable, la nécessité de « marcher à la baguette », équivaut, sans méchant jeu de mots, à « marcher à la braguette ». Les mots disent bien ce qu’ils disent.
Course aux handicaps
Ce détour linguistique est d’abord ce que m’inspire ce livre de Claire Gibault puisqu’on peut le lire comme l’itinéraire, semé d’embûches, depuis le Mans, depuis une modeste origine, d’une  enfant, d’une jeune fille, d’une femme douée de tous les talents musicaux, dotée de tous les prix qui les couronnent, et qui peine à se faire admettre dans le monde machiste des orchestres, et qui se bat pour se faire une place dans l’univers de mâles (de mal, de méchanceté parfois) des chefs.
C’est sans doute d’entrée ce que suggère le titre, programmatique, du livre La musique à mains nues. Nues de la baguette symbolique et phallique de l’autorité, mais tout de même arborée par elle à l’occasion face à de grands effectifs orchestraux car plus visible de loin pour les interprètes. Mais aussi « mains nues » d’une confidence et d’un combat sans gants. Cependant, quel beau titre que cette musique à mains nues! j’ajouterai « à pleines mains », mains qui dirigent, certes, mais qui pétrissent le son, qui dessinent et modèlent la musique dans l’espace, qui se tendent et s’ouvrent généreusement au bout des bras comme en un geste d’offrande, un acte d’amour.
Car, malgré sa lucidité et son honnêteté qui lui font reconnaître ce qu’elle considère comme des défauts parfois, l’autorité, ce goût du pouvoir qui fait les chefs, tous les chefs (même les chefs d’orchestre), malgré, au départ, la cuirasse défensive de froideur qu’elle oppose à une affectivité délétère chez une tendre jeune femme dans « la fosse aux lions », en butte à la perplexité ironique des musiciens, à l’agressivité des vétérans de l’orchestre humiliés d’être dirigés, et parfois corrigés, par une femme et,crime impardonnable, plus jeune qu’eux, malgré ses humiliations quand l’Orchestre de Vienne, après la Scala, refuse sa direction parce qu’elle est femme, oui, malgré ces avanies, c’est l’amour qui est la marque de cet « itinéraire passionné d’une femme chef d’orchestre », sous-titre du livre.
Bien sûr, amour de la musique, communion de la musique qu’elle sait communiquer, dont elle instille, distille la merveilleuse contagion à ces enfants pour lesquels et avec lesquels elle monte des opéras à Lyon, à la Scala. Amour des enfants éveillés à la musique, des enfants réveillés à sa tendresse de mère lorsqu’elle adopte deux petits africains, qu’elle amène partout -cocasse et terrible scène de douane autrichienne quand elle réussit à infiltrer le premier, le petit José, alors qu’elle n’a pas toute la paperasse nécessaire aux parents adoptifs pour passer avec un enfant une frontière même européenne.
Amour plus fort que tout quand, célibataire avec deux enfants noirs, elle se fait insulter dans la rue. Amour et admiration quand elle dit sans fard ses admirations pour les grands chefs dont elle a été l’assistante, Theodor Guschelbauer, John Eliot Gardiner et, surtout, l’admirable et chaleureux Claudio Abbado, qui la reconnaît, la protège de la Scala à Vienne et Londres, où elle triomphera malgré tout et malgré (presque) tous.
On n’oubliera pas sa quête spirituelle profonde, qui la transforme, profondément, après sa conversion à la religion orthodoxe.
C’est donc ici le parcours d’une petite fille mutique au départ, ayant du mal à s’exprimer par la parole, qui, toute enfant, s’invente un langage par la musique, puis qui fait de la musique parole, sa parole. Et qui passe de la parole au discours puisqu’elle est élue députée au Parlement européen (2004-2009) pour un mandat à la Commission de la culture où elle œuvre pour les intermittents, les droits des femmes, des enfants.
Itinéraire passionné, vraiment, livre passionnant : on s’attend à découvrir un chef, on découvre une femme, une femme chef, une maîtresse femme qu’on a envie de suivre. À la baguette ? À  celle d’amour musical. 

Photo Stéphane Olivier

dimanche, mai 08, 2011

Récital Patrizia Ciofi


MARSEILLE CONCERTS
Récital Patrizia Ciofi, 
Carmen Santoro, piano

La cantatrice Patrizia Ciofi n’est pas une diva. Mieux qu’une diva, elle est Patrizia Ciofi, c’est-à-dire, une chanteuse qui sait faire de l’art le plus consommé du chant, de la technique la plus absolue, une seconde nature, ou sa première. À sa voix d’une exquise musicalité, souple, perlée, au timbre doucement fruité, riche en harmoniques, elle sait donner un arc-en-ciel séduisant de nuances, feutrées, veloutées, irisées, toujours au service de la musique et du texte, de l’interprétation, en musicienne et actrice. Personnalité à la nature charmeuse sans effet de charme, silhouette gracile, sourire gracieux et yeux malicieux, elle dialogue aimablement avec une salle bon enfant à la méditerranéenne, qui l’interpelle gentiment ; après d’époustouflantes interprétations des héroïnes folles du romantisme le plus fou, on lui réclame abusivement en bis Lucia, elle réplique :
« Lucia ? Je ne suis pas un juke-box ! »
Il est vrai qu’après Orange, les Marseillais l’ont découverte à l’Opéra dans une incarnation hallucinante de vérité hallucinatoire dans cette mémorable Lucia de Lammermoor. On l’y a pu encore admirer dans Ophélie du Hamlet d’Ambroise Thomas (voir chronique du 16 mai 2010). Aux Chorégies d’Orange, nous l’avons applaudie aussi dans Traviata, et à Avignon, dans Les Pêcheurs de perles, Manon et nous avons rendu compte de ses magnifiques interprétations. On l’entendra encore la saison prochainement à Marseille dans Roméo et Juliette et, à Orange, dans Rigoletto
Ici, en seconde partie, de noir vêtue, elle offre une panoplie de ces rôles tragiques  du romantisme généralement prétextes aux compositeurs du temps d’en faire des morceaux de bravoure, avec de fameuses scènes de folie que s’arrachaient les plus fameuses cantatrices, occasion pour elles de faire étalage de leur maîtrise vocale, de leur virtuosité, avec toute une pyrotechnie de vocalises, de notes piquées, de fusées, roulades, glissandi, sauts et autres agréments acrobatiques du chant placés, après un premier mouvement, dans les cabalettes finales. Vertigineuse virtuosité pure que l’air de Fiorilla de Il turco in Italia opéra-bouffe de Rossini, de demi-caractère dans la Marie de La Fille du régiment. La tragédie et le délire fondent les vocalises dont se hérisse le rôle de Maria Stuart dans la Maria Stuarda de Donizetti, la reine perdant la tête avant de la perdre tout court. Toute la technique impeccable de Ciofi est là. Mais avec l’air de Juliette des Capuleti e Montecchi de Bellini, le grand arc lyrique bellinien devient poésie vocale pure dans la voix de Patrizia qui nous transmet toute la nostalgie douce et mélancolique des grandes âmes trahies par la vie dans l’air rêveur de La Sonnambula.
En robe rouge, dans la première partie, elle nous avait gratifiés de trois mélodies de Fauré chantées comme une confidence, comme en un rêve et l’on entendait l’eau vraiment murmurer dans son tendre roucoulis d’Au bord de l’eau. Même charme dans la sorte de berceuse au vague tempo d’habanera d’amour de Hai Luli de la grande Pauline Viardot. Même enchantement avec deux mélodies de Duparc et le rayonnement vocal délicieux et malicieux des Filles de Cadix de Delibes. Généreux bis à un public insatiable.
Une pianiste, active et attentive partenaire, dont on sentait le bonheur pianistique dans ces mélodies au piano savant, Carmen Santoro, auréolait de son talent cet exceptionnel récital.
Marseille Concerts
Théâtre du Gymnase,
2 mai 2011
Patrizia Ciofi, soprano, Carmen Santoro, piano.
Mélodies de Delibes, Duparc, Fauré, Viardot ; airs, de Bellini, Donizetti, Rossini.
Photo Borghese.

mardi, mai 03, 2011

L'HEURE DU THÉ


L’HEURE DU THÉ
OPÉRA DE MARSEILLE
29 avril 2011

Le CNIPAL, Centre d’Insertion Professionnelle d’Artistes Lyriques, unique en Europe et seul en France, est l’un des honneurs culturels de Marseille. Son nom rayonne bien au-delà de nos frontières puisque nombre de jeunes chanteurs des horizons les plus divers et les plus lointains, viennent s’y perfectionner. Engagés ensuite dans les scènes lyriques les plus prestigieuses, ils portent haut le renom de Marseille. On se fatiguerait à compter les chanteurs, aujourd’hui illustres, qui sont passés par cette école d’excellence. Par ailleurs, par ces précieuses Heures du thé mensuelles et gratuites dans les foyer des Opéras régionaux, le CNIPAL apporte la culture lyrique à une foule de personnes qui s’y presse, ouvrant également des horizons nouveaux pédagogique au public par ses programmes divers, toujours renouvelés, avec un part non négligeable à la musique vivante contemporaine.
Exceptionnelle encore une fois cette soirée. Trois jeunes artistes, un Russe et deux Géorgien. Et ils étaient malades !
Gevorg Grigoryan, Arménien de Russie, baryton basse, ouvrait le feu avec un extrait d’Orlando de Händel, une aria de paragone, de comparaison, où le mage Zoroastro compare tourments et tempête, air virtuose qui lui permet de faire une magnifique démonstration de sa maîtrise du bel canto au sens propre, de la vocalise baroque d’une voix pleine, large, chaude, égale sur toute sa tessiture ; l’air de fureur d’Alfonso de la Lucrezia Borgia de Donizetti lui offre ensuite l’occasion de montrer que le bel canto au sens élargi, romantique, avec sa ligne et ses ornements, ne lui est pas étranger non plus, manifestant un sens dramatique convaincant. Son état de santé ne lui permettra pas de figurer en deuxième partie, on le regrette, un peu honteux de la générosité dont il a fait preuve en chantant malgré tout et remarquablement bien.
Le Géorgien Kakhaber Shavidzé est une imposante et puissante basse de cette lignée de l’est, voix longue aux aigus aisés et aux graves faciles, égale sur tous ses registres, mais au timbre métallique qui peut le servir pour les rôles généralement dévolus aux basses de personnages redoutables, mais desservir pour ceux qui manifestent une plus tendre humanité. Ainsi, son Sarastro de la Flûte enchantée, et ses graves lents et profonds ne lui causent aucun problème vocal, mais manque de la chaleur du héros humaniste et philosophe de Mozart. Du Basilio du Barbier de Séville, où sa voix semble tonner vraiment comme ce « coup de canon » dont il est question, il fait, par son jeu comique pour lequel il semble doué, un personnage trop amusant alors que cet air de la calomnie est terrible par ce qu’il dit et sa voix coupante peut être dramatiquement très intéressante (on l’imagine déjà dans le Grand Inquisiteur de Don Carlo). Il fait montre d’un sens dramatique convaincant dans un air du Prince Igor de Borodine et, dans l’air de Sadko de Rimsky-Korsakov, il est superbe d’arrogance vocale ; il émeut dans l’air de Fiesco de Simon Boccanegra, déploration bouleversante du père pour la mort de sa fille. Allégeant sa grande voix, on l’avait retrouvé plein de drôlerie en Mustafa de l’Italiana in Algeri de Rossini, donnant la réplique à  sa compatriote Irina Aleksidzé.




On a déjà parlé ici de cette peu ordinaire mezzo-soprano à la belle présence, qui allie un rare sens de la scène à une technique vocale à toute épreuve, actrice qui chante ou chanteuse qui joue et, le tout, avec une évidence sensible qui transporte le public. Sa voix souple, agile, est veloutée voluptueusement de sombre et se satine dans des aigus éclatants et faciles. Dans l’Isabella de Rossini, elle semble se rire des vocalises dans le grave et ses notes piquées sont rondes et pleines dans l’hilarant duo, jeu de dupes, avec Mustafa. Elle nous fait découvrir un air magnifique de Léla du rare Revaz Lagidzé, compositeur géorgien qu’on aurait du bonheur à entendre. Le regard d’Irina fait vivre les mots et les notes avant même qu’on entende la musique, elle est déjà musique ; sa voix s’élève, aérienne, légère, très libre, avec une douceur très poétique avant l’intensité d’un beau crescendo. Avec le second air d’Azucena, du Trovatore de Verdi, récit terrible du supplice de la mère et de la méprise de la bohémienne jetant son fils au feu, le regard halluciné, humide de larmes mais la voix aussi émue que ferme, elle arrache les nôtres par son intensité dramatique que l’on salue d’une seule voix.
Plus qu’accompagnatrice, la pianiste géorgienne Nino Pavlenichvili semble faire corps et cœur avec ces musiques et ces jeunes chanteurs de l’est et nous secoue et envoûte par sa puissance et douceur finale de l’ouverture d’Aleko de Rachmaninov.
Avec ce que représente le CNIPAL à la veille de Marseille-Provence capitale européenne de la culture, on est abasourdi d’apprendre la réduction drastique de subventions qui le frappe, menaçant même son existence. On n’ose croire aux bruits qui filtrent critiquant le nombre de chanteurs étrangers accueillis. Va-t-on exiger, comme au foot, une politique de quota nationaux à l'heure européenne et du village mondial? La lepénisation des esprits serait-elle en marche même dans des sphères prétendument internationalistes ?
L’Heure du thé,
Récital des solistes du CNIPAL
Opéras de Marseille, d’Avignon, de Toulon
Irina Aleksidzé, mezzo, Gevorg Grigoryan, Kakhaber Shavidzé, basse,
Nino Pavlenichvili, piano.
Musiques de Donizetti, Händel, Lagidzé, Mozart, Rachmaninov, Rimsky-Korsakov, Rossini, Verdi.

Les solistes du CNIPAL se produiront le 7 mai à Saint-Étienne lors des Journées Européennes de l'Opéra, à Bordeaux le 25 mai.
Photos :
1. Gevorg Grigoryan ;
2. Kakhaber Shavidzé ;
3. Irina Aleksidzé .

lundi, mai 02, 2011

16 e FESTIVAL DES MUSIQUES SACRÉES DE MARSEILLE


16 e FESTIVAL DES MUSIQUES SACRÉES
DE
MARSEILLE
(29 avril -1er juin 2011)
Le Festival a ouvert ses fastes ce vendredi 29 avril avec le Requiem  de Brahms en l’église Saint-Michel, Place de l’Archange, et y déploiera ses ailes jusqu’au premier juin pour cinq autres grands concerts. Le Festival aura aussi de plus modestes nids, dans sept églises de quartier où des concerts gratuits offriront, comme une grâce, un choix des airs les plus beaux de musique sacrée. C’est l’occasion, pour l’Orchestre philharmonique et les chœurs de l’Opéra de Marseille de se mesurer à un autre répertoire sous la direction de chefs prestigieux avec des solistes internationaux mais aussi locaux.

SACRÉ, CONSACRÉ
Mais, avant de tenter de définir ce qu’il en est de la musique, on peut s’interroger sur le mot de sacré. C’est d’abord le contraire de profane, terme qui qualifie ce qui n’appartient pas à la religion. Est donc sacré ce qui est objet d’un culte, digne de vénération par son caractère divin ou sa relation à la divinité. Evidemment, encore faut-il s’entendre sur ce que l’on entend par divin : on s’aperçoit vite que notre époque, dans une confusion du profane et du sacré, est prodigue en enflure des mots, en inflation des valeurs (surtout marchandes) et il apparaît vite que la célébrité médiatique est ce qui donne nom, renom, ce qui sacre et consacre, inspirant respect, vénération, culte. Voilà les sportifs, déjà passés au rang de héros, devenus dieux du stade, tout comme les stars, les étoiles du ciel du cinéma, ou le divo ou la diva de l’opéra, qui signifient ‘dieu, déesse’.
Pour souligner sa prédilection, sa vénération profane pour une chose,  une œuvre d’art, on parle aujourd’hui de livre culte, de film culte, de chanson culte, etc. À voir donc où va se nicher le culte, on peut conclure sans peine, mais non sans dommage, que notre époque a sans doute perdu le sens du sacré pour le remplacer par celui du « consacré ». Consacré par la réputation, la célébrité sinon l’usage.

MUSIQUES SACRÉES
Les musiques sacrées, il ne faut pas les confondre avec les musiques strictement religieuses. La musique religieuse, liturgique, rituelle, cultuelle, est au service du culte, du rite, de la liturgie. Elle est exécutée par des religieux, reprise souvent par les fidèles, à l’intérieur d’un édifice religieux, mais aussi à l’extérieur parfois, dans les processions par exemple.
L’expression musique sacrée en Occident, désigne des formes, des genres musicaux consacrés par l’usage, qui peuvent accompagner le culte, les pratiques religieuses : les messes musicales suivent le déroulé du cérémonial de la messe religieuse ; le Stabat mater prend son nom du début du célèbre poème de Jacopone da Todi : « Stabat mater dolorosa juxta crucem… » (‘la mère douloureuse était près de la Croix…’) tout comme le Requiem, qui est le premier mot de la messe des défunts, Missa defunctorum  : « Requiem aeternam dona ei [eis], Domine… » (‘Seigneur, donne-lui [donne-leur] le repos éternel’).

COMPOSITEURS
La musique sacrée est souvent commandée à de grands compositeurs, qui utilisent des textes liturgiques. Elle est jouée aussi bien dans des églises que dans des salles de concert, des opéras.
La musique sacrée n’implique nullement la foi strictement religieuse des compositeurs : si la piété et la foi de Bach, cantor de Saint-Thomas, ne font aucun doute, Mozart, tout franc-maçon qu’il fût, a écrit une Messe en ut mineur et un Requiem sublimes, des airs comme Exultate, jubilate, dont tout le monde connaît au moins le célèbre Alleluia ; et Verdi, un Requiem pour son défunt ami Alessandro Manzoni Son Requiem respecte la liturgie catholique, mais passe pour un opéra en « habits ecclésiastiques », vite passé de l’église de sa première exécution aux salles d’opéras du monde entier. La flamme de ces grands musiciens, croyants ou non, n’est donc pas toujours forcément religieuse au départ mais ils sont au fond les grands prêtres d’une religion de la musique au service de la religion.

Messe religieuse
Au-delà de la croyance religieuse, la messe religieuse, c’est la réactualisation d’un archaïque sacrifice humain que la coupable conscience humaine voudrait oublier : chair et sang, pain et vin, résumés, sublimés dans l’hostie. De l’acte criminel ancien on est passé à son actualisation, non par la répétition du crime, mais par sa sublimation poétique par le symbole. Et, qu’on lui donne un sens religieux ou non, ce symbole qui en vient à remplacer l’horreur initiale du sacrifice, c’est le degré le plus élevé de la civilisation.
Messe musicale
La messe musicale est la sublimation de cette sublimation. La musique a toujours accompagné la religion. Messe des morts et messe de résurrection, chacun, croyant ou non se trouve confronté un jour au mystère de l’origine et de la fin, de la perte des êtres chers, au sentiment de la sienne propre. Aussi, que le public vienne dans une église pour Bach, Mozart ou Beethoven, les textes liturgiques sur ces mystères fondamentaux, ne peuvent laisser personne indifférent.

REQUIEM DE BRAHMS
Alors, le public qui s’empresse vers l’église Saint-Michel accourt-il d’un cœur religieux ou profane ? Se presse-t-il dans la vaste nef avec un sentiment religieux ou pour la sensation musicale ? Est-il là pour le sacré ou le consacré, pour cette messe des morts ou pour Brahms ? Finalement, peu importe : c’est une large communauté qui se retrouve, se recueille, médite sûrement, grâce à la puissance bouleversante de cette musique sur l’essentielle interrogation de la vie et de la mort.
Cette vaste et sobre église néo-gothique, svelte et claire, a un vrai charme ancien avec ses croisées d’ogives et ses vitraux. Cependant, la profondeur, la hauteur des voûtes, les hautes futaies de colonnes, si elles ne gênent pas trop les mouvements lents, créent un vrai problème de résonance dès que le tempo s’accélère, et gêne le retour de son pour les choristes serrés tout au fond avec, entre eux et le chef, la masse orchestrale imposante qui fait barrage à la bonne entente musicale. Ainsi, le premier mouvement, tout doux, comme un murmure lointain surgi des brumes du rêve, dans les vapeurs étranges de la résonance, est beau, se soulève comme une vague, une houle scandée de traits de violoncelles, mais le vaporeux devient brouillard avec le fortissimo.
L’interrogation douloureuse de Marc Barrard, baryton, dramatique et fervent, voix puissante et tendre, sombre, aura comme une réponse  consolatrice dans la douceur lumineuse de la soprano Nathalie Manfrino qui a un écho choral telle l’estompe musicale derrière une figure vocale au premier plan. On admire la direction souple et précise du chef, Luciano Acocella, qui fait passer l’orchestre de la douceur infini de pianissimi rêveurs au fracas bouleversant des tutti, tout en luttant pour la cohésion globale contre l’acoustique trop réverbérante.  Ces handicaps surmontés rendent plus précieuse encore cette superbe interprétation. Le chef contient l’ultime note qui semble ne jamais finir comme une espérance infinie, retient l’émotion et suspend les applaudissements. Puis les applaudissement éclatent tous au même instant, comme si le chef avait donné un invisible signal.
La musique, sacrée ou non, est toujours un art sacré de la communion.

Festival des musiques sacrées de Marseille
29 avril 2011
Johannes Brahms Ein deutsches Requiem
Orchestre philharmonique et chœurs (P. Iodice) de l’Opéra de Marseille
Direction : Luciano Acocella ;
Nathalie Manfrino, soprano, Marc Barrard, baryton.

Photos : Christian Dresse :
1. Vue générale ;
2. Au premier rang, Nathalie Manfrino, Luciano Acocella de dos, Marc Barrard ;
3. Vue du chœur.

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