Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

vendredi, août 08, 2008

CHORÉGIES D'ORANGE (Faust)

FAUST
Musique de Charles Gounod,
Livret de Carré et Barbier.

Chorégies d’Orange, 5 août 2008

Faust visite Orange pour la huitième fois mais revient dans la version de 1869. Déjà en 1990, les deux mêmes magiciens ensorcelants, Plasson à la direction musicale et Joël à la scène, en avaient livré une version très admirée et récompensée par la critique.

Réalisation : un diable anachronique
Hommage à Gounod, organiste tenté par l’Église (et qui signa un pacte non diabolique mais divin avec la Musique aux instances de Pauline Viardot, il faut le rappeler), la scénographie de Nicolas Joël : un orgue colossal (réplique démultipliée de celui de Narbonne) épouse le mur du théâtre antique, ses faisceaux métalliques de tuyaux, jaillissant comme des colonnes de métal, surmontés de statues baroques, celle du centre jouant, en bois, avec celle de pierre d’Auguste. C’est le Ciel sur les têtes, dont s’empare un temps le Démon. Il couronne un soubassement d’ouvertures en arcades, tantôt cabinet sombre du Docteur Faust, taverne, demeure de Marguerite, surplombé de la galerie à rambarde en bois sculpté, où se trouve la console, d’où Méphistophelès, organiste infernal, contemple le monde misérable des humains. Des lumières bleues glaciales ou ardentes (Vinicio Cheli), colorent de sens, un peu simple, cet impressionnant dispositif bien pensé pour le lieu et les spectateurs du haut extrême du théâtre. Tout au pied défileront les soldats bien rangés, au départ ou au retour de la guerre.
Orgues écrasantes et ordre militaire : Église et Armée, deux piliers répressifs et serrés comme les tuyaux d’orgue de la conscience et des corps d’un XIX e siècle pesant dans lequel est resitué l’opéra selon l’académisme répétitif qui sévit sur les scènes depuis plus d’un demi-siècle (voir ma rubrique Humeur, « Du costume au théâtre aujourd'hui ») Les costumes (Gérard Audier) sont beaux mais à rapprocher chronologiquement le mythe de nous, cela éloigne irrémédiablement le sujet : les diableries du lointain Moyen-Âge sont moins crédibles à un siècle de distance, en une époque scientiste justement où la Science devient la nouvelle religion, faiblesse aussi dramatique des post-romantiques Contes d’Hoffmann avec leur diable un en trois qui n’émeut jamais en profondeur. En ce XIX e siècle plus que de piété, de bondieuseries saint-sulpicienne et de retour orchestré du culte marial avec les Bernadette et autres, même l’Église marginalise le Diable sous l’influence positiviste. Le pauvre Méphisto semble donc venu d’une autre planète sur une terre indifférente en pleine opulence bourgeoise. D’autre part, Marguerite, dans ses beaux atours Second Empire à la Traviata donc, déjà reine ou impératrice Sissi par le costume, n’évoque en rien la naïve Gretchen de l’imagerie romantique éblouie de bijoux, assise à son rouet, évacué ici par un réalisme qui joue contre l’œuvre qui l’est si peu, et la musique qui l’exprime beaucoup en tournant.
Sur le milieu de la scène, gothique, immense, enluminé magnifiquement, un livre sur lequel Faust vieillard semble vouloir s’affaler, s’effacer comme une fleur fanée entre les pages, devient ivre de vie de sa métamorphose après le pacte diabolique pour recouvrer sa jeunesse. Elle est si frappante que le public, ravi, applaudit la transformation du vieillard en jeune homme fou, fougeux, cabriolant. Le livre se referme, expédiant les minces lignes métaphysiques de cette version de Faust embourgeoisée où le grand savant chante avec appétit une ambition bien prosaïque digne du Brésilien de La Vie parisienne d’Offenbach :

À moi, les plaisirs,
Les jeunes maîtresses,
À moi leurs caresses…[…]
Et la folle orgie

Du cœur et des sens.

La scène de l’église où Marguerite tente de prier, empêchée par le Méphisto en chanoine terrifiant, organiste de l’enfer à la tribune, grandiose, est sans doute une des plus belles réalisations jamais vues pour ce moment fort de cet opéra. On regrette d’autant plus la Nuit du Walpurgis, orgie faustienne très kitsch à grand renfort de voiles qui ne voilent rien des beautés des dames, et le finale des lis sinon lits blancs de la foule à genoux, comme des flammes pures du bûcher, envers du trône de Méphisto, qui attend sans doute Marguerite, sanctifiée ici par un peuple avide d’idoles ou de saintes à Lourdes ou ailleurs.

L’interprétation
Les chœurs, spatialisés en coulisse comme l’appel lointain du printemps de la jeunesse, ou tel le grondement sulfureux de l’enfer sous l’orgue, tantôt défilant martialement ou valsant dans la kermesse, sont magnifiques dans leur redoutable multiplicité qui nourrit le grandiose plateau. On regrette, dans cette version de Faust, la chanson tronquée du Wagner de Nicolas Testé à la belle voix ainsi que de ne pas entendre plus souvent Marie-Nicole Lemieux, Dame Marthe irrésistible, accorte suivante et presque maquerelle. Au Siebel mezzo travesti original, Joël préfère, non sans raison, le ténor Xavier Mas, beau timbre mozartien, qui se tire remarquablement, tendre et touchant, de ce rôle qui en fait un mutilé exempté qui désigne par ce biais les horreurs de la guerre exalté patriotiquement par les soldats. Jean-François Lapointe, admirable chanteur et acteur, d’un engagement total, est un Valentin héroïque mais élégant qui fait de sa mort, malgré le conformisme moral glaçant du personnage sans pitié pour sa sœur, une terrible tragédie.
René Pape est un Méphisto impressionnant par la stature et le gabarit de la voix, d’une égale couleur ardente, qui se tire avec une aisance diabolique de la tessiture tendue du « Veau d’or » et sait creuser les profondeurs de ce rôle infernal pour une basse et pire pour un grand baryton d’opéra, qui sacrifient en général l’aigu ou le grave.
Belle à se damner, d’une grâce fragile qui passe dans sa voix mais sans fragilité vocale, Inva Mula ne semble pas chanter mais être Marguerite, piquant ses « Ah ! » de « je ris de me voir si belle… » avec un émerveillement de frisson délicat de petite fille, lyrique dans l’expression de l’amour, dramatique et fervente dans ses invocations aux dieux et aux anges, transportant aux cieux le public jusqu’au haut de l’immense théâtre où ses plus infimes nuances sont perçues.
Voix juvénile en sénile Faust, rajeuni par le pacte avec le diable, Alagna récupère d’une cabriole, d’une roue de paon, toute sa fougue de bondissant, d’agile chanteur et acteur, vrai diablotin avide de plaisirs, à côté du géant Méphisto, diable débonnaire et paternel. Toute son arrogance vocale s’étale largement avec une diction française, une ligne qui laisse toujours pantois d’admiration. Sa cavatine élégiaque, il la prend très lentement, d’un rythme rêveur qui séduit et on espère qu’elle va s’animer, mais la reprise est aussi lente, Roberto s’installe dans le souffle, le chant et prépare le contre ut redouté des ténors… qu’il donne non en force mais en demi-teinte, en voix mixte inhabituelle, mais d’un grand effet poétique dans cet air étrangement amoureux d’un personnage qui vantait juste avant le désir et l’érotisme. Dans d’autres endroits aussi, il « marianise » ou « maniérise » sa partition, non sans charme. Bref, quoiqu’en disent ses détracteurs, Alagna a encore de beaux jours devant lui pour de belles nuits pour ses admirateurs qui peuvent dormir –après- tranquilles.
Michel Plasson, encore une fois, ose des tempi longs ou alanguis, parfois perçus comme lenteur dans cette version longuette, mais dans le coffret à bijoux de l’œuvre, cela met en valeur les gemmes d’une instrumentation précieuse, délicate, bel hommage à ses musiciens qui s’épanchent librement, jouant avec les voix, exaltant les belles couleurs de cet orchestre.

Chorégies d’Orange
FAUST,
Musique de Charles Gounod,
Livret de Carré et Barbier d’après Goethe,
Chorégies d’Orange, 2 et 5 août 2008.
Direction musicale : Michel Plasson ;
Orchestre Philharmonique de Radio France ;
Mise en scène et scénographie : Nicolas Joël
Assistants : Stéphane Roche et Emmanuelle Favre ;
Costumes : Gérard Audier ;
Lumières : Vinicio Cheli ;

Chœurs Capitole de Toulouse (Patrick-Marie Aubert, coordinateur choral) ; Opéra d’Avignon (Aurore Marchand) ; Opéra de Toulon (Catherine Alligon) ; Opéra de Nice (Giulio Magnanini) ; Théâtre du Ensemble vocal des Chorégies d’Orange ;

Marguerite : Inva Mula ;
Marie-Nicole Lemieux : Dame Marthe ;
Faust : Roberto Alagna ;
Méphistophélès : René Pape ;
Jean-François Lapointe : Valentin ;
Siebel : Xavier Mas ;
Wagner : Nicolas Testé

Photos © Philippe Gromelle, légendes, B. P. :
1. Église et Armée ;
2. « J’ai vécu triste et solitaire… » (Faust, Méphisto) ;
3. « A moi, les plaisirs ; »
4. Faust, Marguerite.

mardi, août 05, 2008

CHORÉGIES D'ORANGE (Carmen)


CARMEN
Chorégies d’Orange
15 juillet


Arbre de vie, de mort
Ni l’œuvre, ni Plasson, chef d’orchestre, ni Uria-Monzón, la grande Carmen actuelle, ni même Duflot, costumière, ne sont des inconnus à Orange : ils y sont chez eux et, depuis longtemps, se sont affrontés à la monumentalité du lieu. La nouveauté venait de la mise en scène de Nadine Duffaut, qui s’y frottait pour la première fois même si elle est loin d’y être une étrangère, coutumière des spectacles des autres, connaissance et amour du lieu, de ce mur respecté.
En effet, un seul élément pour décor à la puissance plongeant loin dans les symboliques profondeurs terriennes de la conscience : comme pétrifié et issu de ce cirque de pierre, un arbre immense couché, déraciné, tendant en appel au secours déjà mort ses racines tentaculaires. Grotte, abri, parcage des femmes, lieu de l’évasion mais surtout, énorme présence du déracinement, de l’émigration, de l’immigration : la Bohémienne, d’un peuple déraciné ; Don José, nobliau navarrais, arraché à sa contrée par une affaire d’honneur et de meurtre (visualisée dans l’ouverture), réduit à être soldat, aux antipodes nationaux de chez lui, dans cette Andalousie légère et violente, déclassé puis dégradé ; sa mère qui l’a suivi dans un proche village, conscience du passé, du terroir, des valeurs locales, et cette Micaëla, orpheline venue d’on ne sait où, escortant la mère et suivant José ; ces contrebandiers, passant d’un pays (Gibraltar anglais) à l’autre, sans oublier ces femmes, ces ouvrières, sans doute fixées dans l’usine, par la nécessité esclavagiste du travail, mais peut-être pas enracinées par un mariage donnant au mâle nomade la fixité de l’arbre généalogique au foyer : la femme soumise ne peut que procréer des fillettes dans le rang sinon des filles soumises, des fillettes déjà esclaves, lavant à genoux, servant à table, avant d’être l’objet de la convoitise brutale des hommes, dont seule Carmen se tire un moment. Les petits garçons sont aussi formatés par l’ordre social, « comme de petits soldats », avant d’être de grands, gardiens de l’ordre corseté et oppressif. L’arbre de vie est un arbre mort.
On aime donc ces costumes espagnols de Katia Duflot, où domine le sombre, vraie couleur de l’Espagne, sans espagnolade, les femmes en clair tranchées et retranchées des hommes, à l’exception de Carmen dans la taverne, somptueuse giroflée aux pétales rouge et or de ses dessous. Malheureusement, la belle robe années 30 de Carmen à la fin, noces de mort, est interprétée par des spectateurs ingénus comme sa robe de mariage avec Escamillo dans les arènes !

Ma mère, je la vois
Dans la Traviata, Nadine Duffaut avait subtilement matérialisé sur la scène l’Absente pour le mariage de laquelle le Père exige le sacrifice de Violetta, enjeu du drame, la sœur virginale d’Alfred : beau fantasme de pureté pour lequel la fille de joie consent à s’éclipser et mourir de tristesse, et beau duo solidaire contre le pouvoir des hommes entre l’héroïne chantante et ce fantôme muet et compatissant. Ici, dans ce monde apparemment de la force virile, soldats, officiers épée à la main, contrebandiers, matador, autre tueur, la puissance de la femme n’est pas qu’incarnée par Carmen, qui se joue de tous mais finira épinglée : c’est cette mère invisible mais omniprésente, placée ici sur scène (Catherine Alcover) et nous lisant même la teneur de sa lettre à Don José. Elle dispense protection et certitude, blâme ou pardon au fils perdu du haut de son socle de lois, Mère-Patrie (la Navarre, le village), Mère-Église (la chapelle, la foi), Commandeur au féminin de toutes les morales. Nous voyons donc concrètement la mère de José qu’ « il [la] revoit, il revoit son village », comme chante Micaëla, la fille adoptive, la fiancée choisie autoritairement par la matriarche, la future bru, non exempte de brutal courage : elle ose aller arracher José à Carmen et le ramène à la mère, à ses racines, allant, dans la logique vision de N. Duffaut, à être pratiquement la main qui tue la rivale impossible à éclipser.
Ce petit garçon (Hugo Recasens Doux), câliné par Carmen, c’est peut-être « l’enfant de Bohème », le petit Cupidon gitan qui noue l’intrigue fatale, ou l’image, chérie par l’héroïne, lourde de tant de regards lubriques masculins, d’un homme avant l’Homme appesanti de désirs : pur.
Cohérence donc d’une lecture personnelle et forte d’une œuvre inusable dont on regrette peut-être, mais loi de la monumentalité du lieu, la scène peu discrète des contrebandiers arrivant en foule à la barbe des douaniers. Ces danseurs de flamenco avec leur zapateado, en rang, ne m’intéressent que s’ils dansent aussi, en rang, en troupe comme les soldats, un écrasement social, détournement de cette danse à l’origine contre la tarentule, donnant des tarentelles dans toute la méditerranée.

Interprétation
Dire de Béatrice Uria-Monzón qu’elle est Carmen semble un pléonasme : couleur de la voix, finesse et intelligence de la gitane aristocratique par nature, beauté hiératique et souriante, démarche naturelle de reine, elle en incarne la dignité au-dessus de toute contingence du monde vulgaire. Il faut la voir se soustraire avec grâce, glisser avec un mouvement de tête méprisant et élégant d'entre les bras visqueux des hommes. Et, enfin, enfin, face à Don José, c’est une vraie Espagnole qui danse et on ne comprend pas qu’il lui résiste.
On craignait que la délicatesse d'Ermonela Jaho ne pâtisse face à la grandeur du lieu, de la scène, de la nuit : comme transcendée par cette mise en scène qui en fait un être fort, elle s’avère, avec toute sa grâce de poupée, une puissante rivale de Carmen, déterminée, délicieuse et même criminelle, sans rien perdre de la beauté irisée de son timbre.
En Don José, Marcelo Àlvarez a d’abord une gaucherie paysanne, frustre, qui convient parfaitement à l’image qu’ont les Andalous des Navarrais mais, au fur et à mesure, on sent s’installer la faille et le colosse est terrassé par l’amour, terrible dans la menace, déchirant dans la supplique, grandiose d’humanité désespérée dans le meurtre de l’amour. Face à ce trio, un élégant Escamillo ibérique, allure et figure, aussi doté dans le grave que dans l’aigu, superbe, Àngel Ondena. Face maintenant à ce quatuor, toujours la qualité orangeoise des « seconds rôles primordiaux », un Dancaïre et Remendado de comédie (Olivier Grand, Florian Laconi), des Frasquita et Mercédès, dignes compagnes de Carmen (Magali de Prelle, Karine Deshayes) qui nous offrent un quintette époustouflant de verve, un Zúñiga de qualité presque labellisée (François Harismendy) et un Moralès (Olivier Heyte) prêt à lui emboîter le pas.
Des oreilles superficielles reprochent à Michel Plasson, à la tête du merveilleux Orchestre de la Suisse Romande, des tempi lents dont on lui rend grâce ici : cette musique parfois joyeuse et vive n’est pas guillerette et superficielle, elle a la gravité tragique d’un tempo espagnol s’insinuant doucement et sûrement comme l’inéluctable fatalité. On salue des quatre mains ces magnifiques et fiers chevaux défilant sur la scène et ces chœurs.


Photos Philippe Gromelle Orange :

1. Don José, Carmen ;
2. "Je vais danser en votre honneur…" ;
3. Oui, je t'aime Escamillo…" ;
4. "Carmen, prends garde…"



lundi, août 04, 2008

Festival de Pourrières

L’Opéra au Village

Nuits romantiques de Pourrières
Couvent des Minimes



Au temps de Nohant
Belle manifestation animée par des bénévole mais servie par des artistes professionnels triés sur le volet, voilà six ans déjà de Festival et, en trois : les turqueries au début du XIX e siècle en 2006, les chinoiseries en musique en 2007 et, de cet Orient proche ou extrême, nous passons ici à ces Nuits romantiques pour l'atmosphère et l'époque, invités à Une soirée musicale chez George Sand, suivie de Cendrillon, opéra de salon de Pauline García Viardot. Encore une œuvre rare recréée par un modeste mais ambitieux festival.
Après un convivial repas à thème adéquat, menu berrichon, sous les sages marronniers en ligne sous le mur rempart du couvent, dans le cloître intime du couvent des Minimes (XVI e s.) de Pourrières, où un arbre joue le S baroque en tendant vers le ciel son nuage de feuillage, nous avons le privilège de voir exhumée cette œuvre délicate.

Une soirée musicale chez George Sand
Mais d’abord, une première partie, théâtrale et musicale chez la « Bonne dame de Nohant », chez George Sand (1804-1876), la romancière, journaliste et première femme moderne, anti-conformiste, scandaleuse et républicaine, qui réussissait l’exploit d’attirer chez elle, dans ce lointain Berry, tout ce qui comptait dans la France romantique de son temps, résumé, dans ce spectacle joliment introductif et instructif, autour de Pauline García Viardot, l'inspiratrice de Consuelo, à Clara Schumann, Eugène Delacroix, Rossini l’ami de la famille García, Yvan Tourgueniev, l’adorateur fidèle, sans oublier les enfants de la diva.
L’atmosphère musicale est donnée par le violoncelle gémissant de Virginie Sauveur, dont la plaintive voix sur « J’ai perdu mon Eurydice » suggère déjà la sûreté du goût musical de Pauline qui, en plein XIX e siècle fit exhumer par Berlioz et sauva l’Orphée de Gluck.
Quelques portraits sur les murs redoublent les présents et rappellent les absents, dont Chopin, Lizst et le père grandiose et terrible de Pauline, Manuel García, en Otello de Rossini. Jolie trouvaille, la galerie du cloître,s es trois arcades fermées de portes vitrées, ornée d’une allée de petits buis taillés, bleutée de rêve nocturne ou ensoleillée de joie, donne de la profondeur à la scène, une simple table, des chaises et le piano, puis lethéâtre de marionnettes célèbre de Maurice, le fils de Sand, où Tourgueniev (Paul Crémazy) et Delacroix (Pierre Espiaut) se livrent, en fausset à une hilarante parodie de la scène des bijoux de la Marguerite du Faust de Gounod, dont Pauline (Anne Tsirone) a donné une dramatique et sensible version de Marguerite au rouet de Schubert, accompagnée au piano par Clara Schumann (Isabelle Terjan qui le tiendra remarquablement toute la soirée), qui avait musicalement rendu présent Liszt grâce à sa Méphisto valse.
Par la grâce de la voix off de Christelle Neuillet, qui avait déjà présenté Pauline Viardot dans une conférence et signe ce texte avec Bernard Grimonet qui assure aussi la mise en scène simple et efficace, inventive, avec de simples signes et moyens, ce salon devient une évocation, bien nourrie en documentation et iconographie visible, d’une soirée musicale à Nohant : George Sand avec ses amis qui ont marqué la culture universelle, époque heureuse sans télévision dont le trop d’images tue l’imaginaire, où des artistes savants savaient imaginer et jouer entre eux comme des enfants et avec des enfants. Le narratif, en général, tue le théâtre mais, là, nous avons juste un tableau, en musique aussi, qui déjoue la chronologie biographique, qui se joue des dates (Guerre de 70, Stravinsky…), qui situe et rend justice, finalement, à ces deux grandes dames, Sand et Viardot, dans un environnement et une atmosphère qui suscitaient et expliquaient, sans le souligner, cette Cendrillon, un divertissement qui trouvait là, ensuite, son contexte, sa justification intime et son exacte adéquation d’une forme à un contenu : modeste et pudique « petite forme » d’un grand esprit, exactement adaptée aux dimensions et limites humaines du salon, aux élèves, aux amis, sans grossissement ni développement, sans prétention ni grandiloquence, en toute simplicité mais avec le raffinement aimable et gentiment naturel que de cette réalisation a su trouver pour lui rendre sa dimension.

Pauline García Viardot (1821-1910)
Pauline était la fille cadette de l'irascible et irrésistible Manuel García, chanteur célébrissime, créateur du rôle d'Almaviva du Barbier de Séville de Rossini (auquel il semble aussi avoir collaboré à en juger par tous les rythmes hispaniques de l'œuvre), professeur de chant, compositeur, père de Manuel, le futur inventeur du laryngoscope et professeur de chant aussi, de María, la Malibran. Sans avoir la beauté de cette dernière, Pauline en eut cependant le talent vocal, le charisme. Sa culture musicale en fait un maillon essentiel de la musique du XIX e siècle au XX e. Sa longue vie et sa longue vue de l'histoire de la musique, passionnée de celle du passé mais aussi de celle de son temps et de l'avenir, lui ont fait jouer un rôle considérable de mécène et d'égérie, de relais capital, que l'on redécouvre aujourd'hui.
La stricte éducation musicale donnée par son père, avec une technique vocale extraordinaire héritée de celle des virtuoses castrats du XVIII e s., se doublait de connaissances littéraires, de la maîtrise des langues (espagnol, français, italien allemand, anglais, puis russe et grec!), de la pratique du dessin et même de la couture pour les robes de scène, sans oublier équitation et patinage. Élève de Liszt, amie de Chopin dont elle transcrivit avec lui des mazurkas pour voix, elle hésite entre le piano et le chant où elle reprend, à l'instigation de sa mère, cantatrice également, l'héritage de sa sœur infortunée, María Malibran, chantant autant les contraltos que les sopranos aigus. Égérie musicale des grands compositeurs de son temps (de Berlioz à Gounod en passant par Saint-Saëns et Massenet…) elle ne fut pas que la grande cantatrice qui, en plein XIX e siècle ressuscite Gluck et garde la flamme belcantiste des castrats, de Mozart et de Rossini, elle a laissé, comme sa sœur d'ailleurs et son père Manuel García, nombre de compositions, notamment des mélodies, que l'on recommence à découvrir (Voir, ci-dessus ma critique d’un récital du Festival Côté cour).
Ainsi, en 1904, cette féerie en trois tableaux, sur un texte d'elle-même, composée pour ses élèves.

Cendrillon
Agréablement intégré à la soirée de Nohant comme une récréation donnée par les enfants de Pauline à l’occasion de la venue à Nohant de leur père, Louis Viardot, le spectacle lyrique réunit logiquement les mêmes acteurs, devenus tous chanteurs par la grâce, apparemment, d’une baguette de fée. Bonne fée dans la vie de Pauline, Sand devient ici la fée marraine de Cendrillon et a le soprano léger cristallin, poétique et acrobatique, de Monique Borrelli dont le premier air de Reine de la Nuit bénéfique scintille d’étoiles au piano que fait miroiter délicatement toujours Isabelle Terjan. Avec la même cohérence Pauline devient Cendrillon, interprétée avec un charme nostalgique par la même Anne Tsirone, peut-être pas contralto mais soprano à couleur dramatique et aisance dans l’aigu qui rend crédible et attachant le personnage : sa cantilène du début, aux modalismes médiévaux, est un clin d’œil à la chanson de la Cenerentola, la Cendrillon de Rossini, « Una volta c’era un re… », preuve de la maîtrise des styles de Pauline dont des harmonies sont parfois avant-gardistes. Les deux sœurs chipies sont campée avec humour par une nouvelle et une ancienne du CNIPAL Bénédicte Roussenq, mezzo, et Karine Verdu, soprano, déjà accorte Gouvernante berrichonne dans le salon.
Côté hommes, déjà coquin Rossini, Pierre-Villa Loumagne est un cocasse et vocalisant père bouffe, voix grave pour personnage qui l’est peu. Allure et voix, Paul Crémazy, Tourgueniev charmeur, devient un Prince des plus charmants, ténor ancien du CNIPAL auquel son ex-condisciple Pierre Espiaut, espiègle Delacroix, devient ici spécial valet travesti en Prince, avec toujours la même veine et verve vocale et théâtrale. Duos, trio, sextuor sont d’une belle facture, toujours concis, avec des souvenirs d’Offenbach et, naturellement, comme chez celui-ci, des rythmes espagnols de Pauline Viardot qui noubliera jamais qu’elle était García. Tout ce beau monde est dirigé de façon pimpante et fraîche par Luc Coadou dans un respect délicat de l’œuvre.
Autre trouvaille de la fluide mise en scène de Grimonet, les changements (minimes) de décor se font à vue, les tableaux du salon retournés deviennent miroirs du palais, les buis de la galerie, sont portés sur scène, par une magnifique chorale qui chante a cappella des airs du Berry notés par Sand, Chopin, et surtout Pauline Viardot lors des séjours à Nohant, et même une comptine. Les costumes, somptueux et de bon goût sont faits par un atelier de bénévoles, tout comme le joli décor.
Bref, ces soirées, couronnées de succès sont une preuve éclatante que si l’état déserte honteusement le champ culturel (sauf les grandes manifestations qui n’en ont pas tellement besoin), de simples citoyens manifestent la nécessité collective de la culture.

Cendrillon, opéra de Salon de Pauline Viardot,
Pourrières, 17, 19, 21, 22, 24 juillet 2008

Luc Coadou, direction musicale ;
Bernard Grimonet, mise en scène et scénographie ;
Monique Borrelli (George Sand, la fée) ;
Paul Crémazy ( Tourgueniev, le Prince) ;
Pierre Espiaut (Delacroix, Barigoule) ;
Bénédicte Roussenq (Armelinde)
Karine Verdu ( Françoise, Maguelonne) ;
Anne Tsitrone (Pauline Viardot, Cendrillon) ;
Pierre Villa-Loumagne (Rossini, Baron de Pictordu) ;
Virginie Sauveur, viloncelle ;
Isabelle Terjan (Clara Schumann, piano) ;

Chœur : A. et É. Monray, L. Recchia, Ph. Brochec, Éd. Caillol, C. Costanzo.

Décor sous la direction de Jean de Gaspary : Méliani/Pichet/ Sirot/ Noguet ;
Costumes : M. Caillol, C. Dilberger, É. Grimonet, D. Hercelin, M. Musset, J. Boresi.

Photos du Festival :
1. Cendrillon (Anne Tsirone) ;
2. Princes sinon consorts, contorsionnées (Crémazy, Espiaut) ;
3. Arrivée à la cour ;
4. réception à la cour.




samedi, août 02, 2008

Festival Côté Cour

CÔTÉ COUR, CÔTÉ CŒUR

Côté cour
Succédant à « Voix Off », à l’ombre du Festival d’Aix-en-Provence, le Festival « Côté Cour » crée en 1998 par Georges Cayla qui nous a quittés, poursuit son solaire chemin sous les étoiles, illuminant de spectacles et concerts originaux et conviviaux de qualité des lieux rares et exquis de la ville, villas, cloîtres, jardins, musées. Ambiances délicates et chaleureuses qui se terminent, après le spectacle, autour d’un buffet avec les artistes.
Belle ambition affichée et paris tenus : faire découvrir des voix nouvelles, présenter un large éventail musical qui va du flamenco au jazz, du fado au tango, en passant par le Baroque jusqu’à la musique contemporaine. Et, côté jardin et cour et clou de ce Festival, la création d’un opéra peu connu d’un compositeur célèbre : déjà Mozart, Campra, Pergolèse, Händel, et cette année, ce rarissime bijou juvénile de Rossini, L’Occasion fait le larron, un marivaudage en quadrille, un chassé-croisé amoureux, dans le goût du XVIII e siècle, aigre-doux des sentiments.

Côté jardin
Récital à trois, deux voix et un piano : de Naples à Séville, villes sœurs par l’histoire espagnole et, ce soir, par la musique et la voix de deux superbes soprani, Brigitte Peyré et Muriel Tomao, unies ici par la grâce de la remarquable pianiste Marie-France Arakélian. Les ayant accompagnées séparément, elle a voulu jumeler leur voix pour ce concert choisi et pour notre bonheur de cette triade complice.
Muriel Tomao, voix large, dorée, cuivrée dans le médium ; Brigitte Peyré, voix drue, argentine, sachant colorer doucement son grave ont, avec une grande souplesse alterné le premier et le second soprano, le dessus et le dessous, très musicalement, dans cet ensemble de duos scandés de solos brillants. Le trop modeste Bernard Colmet, metteur en scène discret, met en jeux ces textes -même contre eux-mêmes en les détournant- mais toujours dans le respect de la musique, en orfèvre, faisant jouer nos deux cantatrices en véritables actrices, avec un humour bien venu, intégrant aussi la pianiste à ces légères facéties.
La première partie, italienne est ouverte et close sur Rossini : la fameuse Regata veniziana fait de nos deux divas des chattes pour le beau Tonio et des tigresses pour le pauvre Beppe et, en fin, une adorable Pastorella delle Alpi, une pastourelle délicate, une bergerette délicieuse, caquetante et cocotante, métamorphose irrésistiblement Peyré en chèvre bêlante de tout l’art de sa voix d’oiseau. Entre les deux, des airs napolitains de Donizetti, très vocaux, duos à la stimulante émulation jouée en rivalité intempestive, une dramatique Visione de Tosti par Peyré et, du même, un voluptueux Marecchiare, par Tomao qui semble respirer large le large napolitain, détournée en rageuse et orageuse sérénade contre la Castafiore perturbatrice.
Pendants d’oreilles, éventail et « mantón de Manila » (grand châle) aux épaules, et voilà la partie espagnole avec toute cette vocalité virtuose populaire de grande envolée baroque débutée par le pétillant De España vengo de Luna perlé de jubilantes roulades par Brigitte, qui contraste avec l’Adela de Rodrigo, mélancolique élégie sur la mort d’amour que Muriel nous murmure avec une poignante et rêveuse intériorité qu’elle retrouvera, en tragédienne pudique, dans La canción de la Infanta, poétique texte ancien castillan admirablement mis en musique vocale et piano par Pauline García Viardot, dont nous aurons encore une habanera, invitation au voyage, langoureuse bercée de vagues alanguies, par nos deux divas. que l'on a envie de suivre On saluera encore, influence certaine des García et de Viardot, un superbe boléro de Saint-Saëns (El desdichado), en bis, un air espagnol de Gounod, véritable aquarelle musicale végétale, et, pour les musiciens espagnols, la voluptueuse et nostalgique habanera de Penella, la piquante tarentelle tarentule de Giménez, piquetée de « ay ! » cocasses. Le boléro de Barbieri sur un bandit de grands chemins, chanté par les deux femmes émoustillées, est exemplaire de la subtile lecture détournée de Colmet qui culmine dans une chanson espagnole de Rossini (si hispanisé dans sa vocalité) où un banal madrigal devient une vraie saynète bouffe. Servi par trois belles interprètes, on en redemande.
Sans tambour ni trompette mais en musique, grâce, jeu et talent, un récital-spectacle qui honore de son originalité cet original festival.

Festival Côté Cour,
Aix-en-Provence, Jardin du Musée Granet ?
17 juillet,
De Naples à Séville (Airs italiens et espagnols)
Brigitte Peyré, soprano ,
Muriel Tomao, soprano,
Marie-France Arakélian,
Bernard Colmet, mise en scène.

Photos fournies par Florence Cayla :
1. Marie-France Arakélian, Brigitte Peyré, Muriel Tomao ;
2. et 3 : Brigitte Peyré et Muriel Tomao.

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